K.G. enfin K.O. ? Les praticiens de l’insolvabilité luttent

Le 21 octobre 2020, Monsieur Koen Geens a déposé à la chambre des représentants une proposition de loi 1591/001 portant diverses modifications en matière d’insolvabilité des entreprises, laquelle a été reprise au chapitre 21 de l’avant-projet de loi dit « COVID-19 » de novembre 2020.

Ce chapitre de l’avant-projet de loi vise à donner au juge le choix de la procédure de discontinuité qui lui parait la mieux adaptée :

« Le juge pourra préférer à la faillite la procédure de dissolution judiciaire pour la personne morale qui depuis des années, n’a plus ni activité, ni actif, ni salarié ou même n’en n’a jamais eu et qu’il faut faire disparaitre de l’ordre judiciaire avec le minimum de frais. L’ordre public économique dicte un tel choix » 

« Les faillites clôturées pour insuffisance d’actifs forment la grande majorité des faillites et constituent en général des procédures dépourvues d’utilité pour les créanciers ».

« La faillite est une procédure complexe qui alourdit considérablement, et en définitive inutilement la charge des tribunaux de l’entreprise et des parquets financiers ».

« La faillite est une procédure qui a un coût pour l’Etat : celui- ci, dans le cas fréquent d’une absence d’actif supporte les frais de greffe et les débours de la faillite de même que les honoraires forfaitaires du curateur fixés à mille euros HTVA par l’article 9 de l’arrêté royal du 26 avril 2018… »

« La gestion efficiente des ressources humaines et financières des pouvoirs publics doit viser la disparition au moindre coût de ces « coquilles vides ».

Si une coquille est « vide », c’est qu’elle a été vidée… Pourquoi, comment ? Est-elle réellement « vide » ?

La proposition de loi, en faisant l’impasse sur ces questionnements, et se basant par ailleurs sur des constats erronés, conduira immanquablement à empêcher la découverte d’actifs insoupçonnés, voire détournés, soit des malversations financières dont les auteurs pourront en outre « bénéficier pleinement », … au détriment des créanciers, des finances et de la sécurité publiques…vu l’impunité qui en résultera !

 ****

Tous les curateurs, dans leur parcours professionnel, ont rencontré nombre de situations de sociétés pour lesquelles il n’existait, a priori, aucun actif qui puisse permettre le désintéressement des créanciers au premier rang desquels l’Etat.

Ils ont cependant pu, au terme de recherches approfondies et/ou de procédures poursuivies ou intentées, souvent récupérer des sommes ayant permis de désintéresser tout ou partie des créanciers, dont directement ou indirectement (remboursement du FFE, précomptes, …) l’Etat.

La tentation de donner la préférence à la dissolution judiciaire plutôt qu’à la faillite exprime une volonté affichée d’économie pour l’Etat…mais aucune balance économique ne vient objectiver cette assertion : que coûte une procédure de faillite versus ce que rapporte une procédure de faillite dans chacune de ces situations ?

Si le choix est fait d’une dissolution judiciaire suivie d’une clôture immédiate, une série d’initiatives et de procédures, potentiellement « rentables » deviennent, en pratique, impossibles :

  • analyse des comptes bancaires (souvent déjà clôturés), découverte (par des recherches à la DIV, au cadastre,…) et réalisation d’actifs ( mobiliers tels des garanties locatives « oubliées » et parfois même immobiliers) non renseignés,
  • contacts (personnalisés et donc révélateurs) avec le comptable et le personnel ancien (souvent avec des problématiques non connues a priori et non résolues -et des contentieux toujours en cours),
  • découverte de sièges d’exploitation hors arrondissement du siège social (fictif, dans certains Business Centers),
  • récupération de créances (ignorées, cachées ou soigneusement compensées), poursuite de procédures en cours (souvent ignorées également),
  • libération d’un capital non appelé, remboursement de comptes courants (très souvent fictivement « remis à zéro »), mise en cause de la responsabilité des administrateurs (notamment pour la poursuite fautive d’une activité déficitaire), action en paiement des dettes sociales, action en inopposabilité/annulation d’actes douteux, en période suspecte, action en comblement de passif (exclusivement réservée à un curateur),
  • poursuites pénales, vu l’absence d’informations données par un curateur (qui ne pourra donc plus se constituer partie civile pour récupérer le dommage subi par les créanciers), pouvant en outre potentiellement mener à des interdictions professionnelles, indispensables au maintien de la sécurité de l’ordre économique.

Ce choix d’une dissolution judiciaire immédiate plutôt que d’une procédure de faillite sans pouvoir déterminer, a priori et sans investigations plus poussées, si des actions telles que visées ci-dessus sont possibles et dont l’issue permettrait la mise à jour de comportements frauduleux et le désintéressement de créanciers dont l’Etat, est en outre pour le moins hasardeux…

Comment le juge va-t-il pouvoir déterminer d’autorité et sans le travail préalable de la chambre des entreprises en difficulté, que la société est réellement « vide, sans actif, qu’elle n’occupe pas ou plus de travailleur et que plus personne ne s’en soucie » ?

In concreto, ce sera au greffe de vérifier si la société est réellement vide, sans actif, sans travailleur… Or, on le sait, les greffes sont déjà en situation chronique de sous-effectif – « économies » obligent – et en surcharge excessive de travail.

Un curateur de faillite désigné dans cette hypothèse, pourra lui, prendre le soin, pour un montant forfaitaire par ailleurs raisonnable compte tenu de l’ensemble des prestations à réaliser (et prélevé prioritairement sur l’actif retrouvé si tel est le cas), d’effectuer toutes ces vérifications et investigations avant d’envisager, sous sa responsabilité et sous le contrôle (par ailleurs non-coûteux) d’un juge-commissaire, les actions qui s’imposent, le cas échéant.

Sinon, l’article XX 135§1er du Code de droit économique permet alors au tribunal de clôturer d’office (très rapidement) une faillite, « sur rapport du curateur » (ce qui prouve, si besoin en était encore, l’intérêt et la nécessité impérative des vérifications susvisées).

Enfin, revenant sur le contexte actuel de la crise sanitaire et économique justifiant la prise de mesures exceptionnelles ainsi que sur les « constats » allégués à cet égard, il y a lieu de rappeler que, contrairement à ce qui est affirmé par les auteurs de la proposition :

  • Le phénomène dit « des coquilles vides » (soit des personnes morales sans aucun actif subsistant en apparence) est minoritaire dans le nombre de faillites (souvent de personnes physiques) clôturées pour défaut d’actifs ; il existe en outre depuis de nombreuses années et n’est en rien lié à la crise actuelle.
  • Les faillites pour défaut et/ou insuffisance d’actifs sont la résultante d’un filtre actuellement efficacement opéré, permettant que d’autres faillites apparaissant de prime abord sans actif et sans intérêt, se révèlent finalement des faillites dans lesquelles, dans l’intérêt des créanciers, des actifs sont retrouvés par l’action des curateurs (lesquels peuvent chacun faire état de nombreux cas vécus à cet égard). Dans le cadre de la dissolution judiciaire avec clôture immédiate de la liquidation, ils seront irrémédiablement perdus pour les créanciers.
  • Depuis la mise en place de Regsol, l’essentiel du travail anciennement réalisé par les greffes est actuellement réalisé par les créanciers (encodage de leur déclaration de créance) et par les curateurs (insertion de toutes les requêtes, rapports, procès-verbaux de vérification des créances). Quant au Parquet, son travail se situe en aval (si ce n’est pour la lecture du mémoire du curateur). Les procédures sont introduites par les curateurs directement dans Regsol, les juges commissaires approuvent ou non par une simple signature avec un éventuel commentaire. Tout a été simplifié et avec un programme adapté dans les greffes, la rédaction de la plupart des ordonnances et jugements pourrait être encore simplifiée…ce qui diminuerait encore le coût des faillites…

La proposition ne démontre en rien sa prétendue efficacité économique, que du contraire puisqu’elle occulte les effets potentiellement bénéfiques du régime de la faillite (d’ordre public) et du travail des praticiens de l’insolvabilité, pour les créanciers, dont l’Etat.

En outre, ce ne sont pas les « coquilles vides » mais leurs dirigeants désinvoltes ou malhonnêtes qui posent problème…

La proposition aboutit à cet égard à un effet pervers : en prononçant la dissolution avec clôture immédiate et sans autre contrôle, de sociétés considérées – même – à tort comme des « coquilles vides », elle confère une impunité totale à leurs dirigeants qui sans comptabilité tenue ni publiée, en méconnaissance de leurs obligations de faire aveu, ayant poursuivi de manière fautive et caractérisée des activités - officiellement - déficitaires, sans libérer le solde du capital souscrit, en éludant l’impôt, la sécurité sociale, et en camouflant certains actifs, … les retrouveront finalement intacts immédiatement après cette clôture…

Rien à perdre (vu la possibilité de créer des sociétés sans capital), tout à gagner pour la piraterie financière (sociale et fiscale) qui, ainsi impunie, s’en trouvera évidemment encouragée !

« Tournez manège », et son carrousel de sociétés fantômes…

L’ordre public économique empêche un tel choix !

 

Pierre Henry,
Administrateur

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