C’est un enjeu crucial de la modernisation de la justice et de notre profession, qui se veut prioritairement tournée vers le justiciable !
Mais les usagers sont-ils au cœur de la modernisation de la justice ?
Les barreaux de Verviers, Huy et Liège ainsi que l'Ordre des barreaux francophones et germanophone ont introduit un recours en annulation au Conseil d'Etat contre le nouveau règlement de répartition des affaires du Tribunal de Commerce de Liège qui centralise tout le contentieux de l'insolvabilité à Liège.
Le législateur avait pourtant soutenu dans les travaux préparatoires de la loi du 1er décembre 2013 « portant réforme des arrondissements judiciaires et modifiant le Code Judiciaire en vue de renforcer la mobilité des membres de l’Ordre judiciaire » que " la mobilité vise à faire venir la justice aux citoyens et non l’inverse"...
Renoncer à la proximité géographique, n’est-ce pas également renoncer à la proximité humaine d’une Justice plus soucieuse de compréhension et de négociation ?
La Justice se définit-elle actuellement en fonction de ses moyens ou inversément, comme il se devrait ?
Quelles solutions pour assurer une Justice de proximité ?
Telles sont les interrogations qui nous amenaient à organiser, avec AVOCATS.BE et le parrainage de l’Académie Royale de Belgique, une conférence-débat à laquelle étaient invités non seulement les acteurs de justice, mais également les responsables politiques et surtout, les citoyens.
D’emblée, Madame Murielle TARGNION, bourgmestre de la Ville de Verviers, qui nous accueillait dans la salle communale de l’Hôtel de Ville, nous faisait part d’un certain manque de proximité et de communication avec les services du Parquet, concernant les infractions pénales commise localement ; elle soulignait l’importance d’une communication concertée à l’égard de la presse, et d’une information quant au suivi des dossiers pénaux, le citoyen se plaignant amèrement auprès d’elle des lenteurs de la justice.
Monsieur Luc CHEFNEUX, directeur de la section « Technologies et sociétés » de l’(Académie Royale insistait quant à lui sur la proactivité et les nécessaires adaptations aux changements afin de rapprocher la Justice du citoyen.
Madame Magali CLAVIE, Présidente du Conseil Supérieur de la Justice, entamait le sujet de la « proximité » par la nécessité de renouer la confiance entre la Justice et le citoyen.
Ce dernier a besoin d’une proximité temporelle ; il faut donc pallier aux lenteurs de la justice.
Le besoin d’une proximité « sémantique » pose la question du langage de la Justice qui doit se simplifier et se clarifier pour le justiciable.
La proximité « économique » a également été abordée concernant l’accès à la justice, la proximité ne pouvant être une fin en soi mais plutôt un moyen d’y aboutir.
Madame CLAVIE terminait avec la proximité « Magistrats-Avocats » en rappelant la nécessité d’une réforme pour le statut des juges suppléants, l’utilisation de ceux-ci ne pouvant se réduire à une solution contre le manque de moyens de la justice.
C’est ensuite Maître Frédéric GEORGES, Professeur à l’Université de Liège, qui rappelait le cadre légal applicable en la matière.
Les lois du 1er décembre 2013 et du 25 décembre 2017, « une réforme courageuse et nécessaire » pour la spécialisation et la mobilité des magistrats, propre à assurer l’uniformité de la jurisprudence.
Mais le Professeur GEORGES rappelait la différence entre « faire une économie d’échelle saine » et « colmater les brèches » …
Il réduisait le concept de « justice sous l’arbre » à un « gadget de marketing » destiné à mieux vendre la réforme mais selon lui, inapplicable en pratique…
Il évoquait d’autres moyens d’assurer une certaine proximité par la mobilité : la vidéo-conférence, une justice du futur ?
La procédure écrite était également abordée.
Monsieur Marc DEWART, Premier Président de la Cour d’Appel de Liège, lançait quant à lui un appel aux politiques et s’interrogeait sur le coût de la proximité géographique : « Quelle proximité pouvons-nous nous permettre ? »
Il insistait sur les qualités d’accueil et d’écoute d’une Justice qui ne se réduire à « un travail à la chaîne ».
Il rappelait qu’actuellement, le remplissage du cadre des magistrats n’est pas objectif et plaidait pour un modèle d’allocation selon les besoins.
Actuellement, les mesures prises visent essentiellement à faire diminuer « l’input » mais … quels objectifs à long terme ?
Monsieur Christian DE VALKENEER, Procureur Général près la Cour d’Appel de Liège, en appelait à revenir aux attentes du justiciable : rapidité de la justice pénale, clarté du langage judiciaire, équité.
Selon lui, le « magistrat du terroir » n’est pas nécessairement la solution à cet égard.
Il insistait sur l’actuelle complexité des dossiers et des procédures, sur la nécessité de mutualiser les forces et non de les éparpiller, et de rationaliser les coûts.
Reprenant la phrase de Victor Hugo « Construisez des écoles pour fermer les prisons », il insistait sur la vitalité d’une remise en question : quelle Justice pour demain ?
Repenser la proximité, c’est aussi inviter les magistrats à se rendre sur le terrain, évoquant à cet égard l’idée de permanences locales du Parquet.
Maître Xavier VAN GILS, ancien Bâtonnier et vice-Président d’AVOCATS.BE, abordait le coût de l’avocat et donc de sa « proximité économique » largement impactée par la TVA.
Les progrès de l’aide juridique doivent se poursuivre, l’assurance protection juridique doit s’accompagner d’une fiscalité appropriée, les avocats doivent promouvoir une certaine prévisibilité des honoraires.
La solution de la « mutualisation » devrait être réexaminée.
Reprenant la proximité géographique des lieux de justice et son importance pour le choix de l’avocat, il abordait également « l’avocat dématérialisé » pour rappeler qu’il faut impérativement préserver nos valeurs humaines protégées par notre déontologie, celles qui font de l’avocat le premier acteur de Justice …
Maître Jean-Pierre BUYLE, Président d’AVOCATS.BE, après diverses interventions du public, concluait en déclinant les différentes proximités de la justice pour insister finalement sur la proximité « qualitative » de cette dernière et du coût qu’elle engendre nécessairement.
Les avocats ont leur rôle à jouer à cet égard et les modes appropriés de règlement des conflits ont aussi toute leur importance.
La symbolique de la justice de proximité marquée notamment par ses bâtiments était enfin abordée : la justice « sous l’arbre » deviendra-t-elle la justice « dans l’arbre », la végétation envahissant certains de nos lieux de justice au point de les rendre infréquentables ?
Nous donnerons-nous les moyens de nos ambitions démocratiques et donc aussi judiciaires ?
Les élections approchent, l’occasion d’encore en débattre !
Le débat « Justice de proximité – Proximité de la Justice ? » peut être revu via le lien https://www.facebook.com/BarreauDeVerviers/videos/1699874500059605/?t=5
Le débat se poursuit sur Télévesdre via le lien https://www.vedia.be/www/video/info/la-justice-est-elle-encore-une-justice-de-proximite-_95443_144.html
Pierre Henry, bâtonnier du barreau de Verviers.