Éloge de la présomption d’innocence, par Marie Dosé et Julia Minkowski

L’essence du métier d’avocat pénaliste consiste à défendre aussi bien des personnes accusées d’actes pénalement répréhensibles que leurs victimes. Il va sans dire que plaider l’innocence ou défendre un accusé manifestement coupable ne saurait être compris comme une justification des actes en eux-mêmes. Mais si nous en sommes là, à devoir rappeler cette évidence, c’est que nous, avocates pénalistes, sommes de plus en plus prises à parties. Aussi, on se pince d’avoir à l’écrire : non, nous ne sommes pas favorables à l’escroquerie, au viol, au meurtre… Défendre une personne accusée de terrorisme n’implique pas que nous jugions d’un bon œil l’usage de la violence contre des populations, et être les conseils d’hommes accusé de violences sexuelles n’implique pas que nous souscrivions aux mécanismes de la prédation masculine, pas plus qu’au dévoiement de la libération des mœurs par la contrainte ou à l’emprise comme mode opératoire dans les relations sentimentales.

Il y a quelques mois, le Conseil de l’Europe a adopté une Convention sur la protection de la profession d’avocat. Il était, malheureusement, temps. Depuis quelques années, la violence contre les avocats, assimilés à leurs clients, se répand comme une traînée de poudre. Il y a vingt-cinq ans, Julien Pierre, avocat de Marc Dutroux, avait reçu des kilos de spaghetti bolognaise dans sa boîte aux lettres après avoir obtenu la récusation du juge Connerotte, qui s’était compromis en participant à un souper spaghetti qui visait à récolter des fonds pour contribuer aux frais de défense des parents des malheureuses victimes de cet abominable prédateur. On n’ose imaginer le sort qui lui serait réservé aujourd’hui, tant le climat général de violence a empiré.

Qu’est devenue la présomption d’innocence dans notre société d’immédiateté ? Il est si facile de clouer au pilori des réseaux sociaux tout présumé coupable, simplement en tapotant quelques mots sur son téléphone portable, sous le couvert de l’anonymat bien sûr…

Marie Dosé et Julia Minkowski commencent par égrener quelques exemples diablement interpellants. Vous vous souvenez, bien sûr, des affaires Bérégovoy, Balladur, Fillon… Mais que dire de l’affaire Julien Bayou, ce député écologiste traîné dans la boue par sa collègue Sandrine Rousseau, qui après avoir recueilli des « confidences » de son ex-compagne (!), l’accusa de « comportements de nature à briser la santé morale des femmes », tout en précisant qu’aucun comportement pénalement répréhensible ne pouvait lui être reproché. Mais l’accusation avait fait son effet. Julien Bayou ne fut jamais poursuivi, jamais mis en prévention. Aucune enquête ne fut menée, ce qui permit à Sandrine Rousseau de conclure, avec un fabuleux cynisme : « Sans enquête, on ne peut rien dire »… Mais sa carrière est brisée.

Il faut que la peur change de camp…

Et de multiplier les exemples, non seulement dans le domaine politique (ou cinématographique) mais dans tous les milieux, professionnels, sportifs, artistiques.

Et les autrices de dénoncer la complicité des parquets qui, non seulement laissent s’échapper des informations indiscutablement couvertes par le secret de l’instruction mais aussi mettent un zèle particulier à enquêter sur des faits, même prescrits et indiscutablement prescrits, dès que des PEPs sont en cause, tout en se dispensant de traiter des affaires moins médiatiques mais autrement plus graves (des viols de jeunes filles de moins de quatorze ans, par exemple) au motif qu’ils sont « débordés ». Il est vrai qu’il y a la presse et que celle-ci veut des titres, des noms ronflants. Un inceste c’est tellement banal, cela ne fait pas vendre, sauf bien sûr si l’accusé est une vedette…

Est-il d’autre choix, pour préserver sa propre réputation, que d’exclure celui qu’un article, une plainte, une enquête désigne comme paria ?

Que faire face à cette déferlante, sinon mobiliser le droit, les grands principes, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la présomption d’innocence. Avec la Cour suprême du Canada, dans un arrêt de 1986, rappelons, martelons :

« La présomption d’innocence confirme notre foi en l’humanité. Elle est l’expression de notre croyance que, jusqu’à preuve du contraire, les gens sont honnêtes et respectueux des lois ».

Mais qui croit encore que l’homme est naturellement bon ?

Ratifions vite la Convention sur la protection de la profession d’avocat.

Patrick Henry
Ancien Président

 

Tribune n°276 (26/06/25)

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Henry
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Ancien Président d'AVOCATS.BE

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