Rencontre avec la CTIF : « des déclarations de soupçons de qualité »

Pour rappel, notre rubrique est consacrée à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Chaque édition aborde un autre thème pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent.

Appliquer la loi anti-blanchiment relève parfois de l’exercice du funambule. D’où le titre de notre rubrique…

Celle-ci se veut courte et lisible. Elle se veut également interactive, donc n’hésitez pas à nous soumettre vos questions à l’adresse blanchiment@avocats.be. Nous ferons le maximum pour y apporter une réponse claire.

***

Ce 15 mars, la Commission a été conviée à la CTIF afin de pouvoir débriefer des déclarations de soupçons introduites par les avocats.

1. DÉBRIEFING QUANTITATIF : QUELQUES CHIFFRES 

  • Informations chiffrées relatives aux déclarations de soupçons (DOS)

Total Avocats 2016

Total Avocats 2017

Total Avocats 2018

Total Avocats 2019

Total Avocats 2020

Total Avocats 2021

Nombre de DOS reçues

4

10

8

11

17

8

Nombre de DOS transmises

1

1

0

2

1

1

Nombre de DOS classées

3

7

6

Pas l’information

Pas l’information

Pas l’information

Nombre de DOS en traitement

0

2

2

Pas l’information

Pas l’information

Pas l’information

 

On constate un pic en 2020 et une diminution importante en 2021. Ceci s’explique certainement par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 septembre 2020 (voir ci-après).

Selon la Cellule, si l’activité déclarative émanait principalement des Barreaux francophones en 2018, elle provient, depuis lors, en grande partie des Barreaux néerlandophones.

  • L’activité déclarative par Barreau francophone est présentée ci-après

2019

2020

2021

Total

Barreau de Bruxelles (Ordre français)

2

2

1

5

Barreau du Brabant Wallon

0

2

0

2

Barreau de Charleroi

1

1

0

2

Barreau de Liège

1

0

0

1

Barreau de Tournai

1

0

0

1

Total

5

5

1

11


2. DEBRIEFING QUALITATIF : QUELQUES PRÉCISIONS

(i) Formulaire adéquat

Suite à la dernière visite à la CTIF et les remarques qui avaient été formulées, la Cellule aperçoit une grande amélioration dans la manière dont les déclarations de soupçons sont effectuées.

En effet, conformément aux recommandations, les déclarations interviennent sur la base du formulaire ad hoc repris sur le site de la CTIF qui permet de rassembler, en principe, l’ensemble des informations utiles.

(ii) Indices de blanchiment rencontrés

  • Origine des fonds pas connue ou opaque ;
  • Recours à des mécanismes opaques et complexes ;
  • Utilisation de structures sociétaires peu transparentes ;
  • Bénéficiaire(s) ultime(s) des opérations non connu(s).

La Cellule a également fait part de certains dossiers qui amènent les réflexions suivantes :

  • Le soupçon doit porter sur une opération de blanchiment 

On rappelle, en effet, que la loi préventive impose cette déclaration de soupçons de blanchiment portant sur des sommes ayant elles-mêmes une origine illicite. S’il n’appartient pas à l’entité assujettie de déterminer précisément quelle est l’origine illicite, encore faut-il – pour qu’une déclaration de soupçons puisse intervenir - qu’il y ait un soupçon d’opération de blanchiment. Aucune déclaration de soupçons ne devrait donc être formulée si l’entité assujettie soupçonne la commission de l’infraction de base.

Exemple : Je soupçonne mon client de fraude fiscale (par émission de fausses factures, etc.) aucune déclaration de soupçons ne doit intervenir. Ce n’est que s’il y avait une opération de blanchiment relative aux sommes ainsi éludées que la question devrait être analysée.

  • KYC vs KYT : une question récurrente en matière d’acquisition de biens immeubles ou de sociétés

Il appartient à chaque avocat d’identifier son client (‘KYC’1) (l’acheteur est identifié par l’avocat de l’acheteur et le vendeur est identifié par l’avocat du vendeur). Il n’en demeure pas moins que chaque avocat est également tenu à son obligation de vigilance concernant la transaction (‘KYT’2).

Tout avocat peut donc être animé d’un soupçon de blanchiment concernant les fonds utilisés dans la transaction sans avoir égard au fait qu’il soit le conseil de l’acheteur ou du vendeur.

Il va de soi que si l’avocat de l’acheteur devait s’interroger sur l’origine des fonds du vendeur, des questions devront donc être posées au confrère afin que celui-ci puisse (i) fournir les explications déjà obtenues ou (ii) interroger plus avant son client.

Il échet en effet de préciser qu’avant de procéder à une déclaration de soupçons, il y a lieu d’investiguer sur l’origine des fonds, notamment si l’opération est atypique. Ce n’est qu’en cas de non-apaisement quant au soupçon, nonobstant les questions posées, qu’une déclaration de soupçons pourra intervenir (dans la mesure où l’exception du secret professionnel ne devait pas trouver à s’appliquer). Cette déclaration peut intervenir à l’initiative de chaque avocat et pas uniquement à celle du conseil de la partie concernée par l’origine des fonds.

  • Les tentatives

De nombreuses déclarations sont intervenues en 2020 alors que l’avocat a été consulté à un stade antérieur aux opérations.

Les déclarations ont donc visé des tentatives d’opérations de blanchiment.

Nous insistons donc sur la portée de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 septembre 2020 qui a abrogé, en ce qui concerne les avocats, l’article 47, 2°, 2ème partie de phrase. L’avocat ne doit pas procéder à une déclaration de soupçons en cas de la tentative.

Au contraire, il tentera de dissuader son client : « dissuader pour ne pas dénoncer ». 

En toute hypothèse, l’avocat se gardera de participer à une quelconque infraction, qu’elle soit une infraction de base ou une infraction de blanchiment.


*    *    *

Dans sa globalité, la Cellule a apprécié l’effort fourni quant à la qualité de la déclaration, la précision du soupçon qui a surgi et les documents explicatifs. Le recours au formulaire ad hoc aide fortement à rencontrer les attentes de la Cellule.

S’il est un fait que la déclaration de soupçons, par un avocat, relève plutôt de l’exception plutôt que de la règle vu la portée de l’exercice du secret professionnel, il n’en demeure pas moins que lorsque pareille déclaration doit intervenir alors il convient en effet d’être précis, de se fonder sur les formulaires de la CTIF (qui permettra de faire la check-list de toutes les informations qui devront être fournies) et d’étayer ce qui a amené l’avocat à être animé de pareils soupçons.

 

La commission anti-blanchiment d'AVOCATS.BE

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