- L’obligation d’évaluation des incidences environnementales prévue par la directive 2001/42/CE[1] s’applique-t-elle au Code wallon du développement territorial ? Par un arrêt n°33/2019, du 28 février 2019, la Cour constitutionnelle, après avoir estimé qu’il n’y avait pas lieu d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne, a répondu négativement à cette question.
- L’article 3.1. de la directive 2001/42/CE impose la réalisation d’une évaluation des incidences environnementales pour certains « plans et programmes». Les plans et programmes sont « définis »[2], par l’article 2, a), de la directive, comme « les plans et programmes, y compris ceux qui sont cofinancés par la Communauté européenne, ainsi que leurs modifications : […] élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d’une procédure législative, et […] exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ».
- Au fil des recours introduits devant elle, la Cour de justice de l’Union européenne s’est efforcée de préciser le champ d’application de la directive 2001/42/CE[3]. Dans son arrêt D’Oultremont, elle a notamment jugé que « […] les dispositions qui délimitent le champ d’application de [la] directive, et notamment celles énonçant les définitions des actes envisagés par celles-ci, doivent être interprétées de manière large»[4]. Elle a également précisé que « […] la notion de « plans et programmes » se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures de contrôle applicables au secteur concerné, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre d’un ou de plusieurs projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement »[5].
Plusieurs auteurs se sont interrogés quant à l’impact de cette jurisprudence en droit belge, notamment sur la validité du Code wallon du développement territorial (qui n’a pas été soumis, préalablement à son adoption, à évaluation des incidences environnementales)[6]. Ces auteurs s’inquiétaient, entre autres, du sort qui serait réservé aux décisions individuelles (telles que les permis d’urbanisme) délivrées sur base de ce code dans l’hypothèse où sa non-conformité aux exigences de la directive 2001/42/CE serait établie.
La Section de législation du Conseil d’État avait, dans plusieurs avis relatifs à des modifications du Code wallon du développement territorial, attiré l’attention du Parlement wallon sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle avait, par exemple, souligné qu’une « proposition de décret [qui] tend à permettre l’inscription de nouvelles zones aux plans de secteur et à déterminer les affectations auxquelles ces zones seraient destinées […] relève incontestablement de la notion de « plans et programmes » au sens de la directive 2001/42/CE »[7].
- S’inscrivant dans le cadre des questionnements relatifs au champ d’application de la directive 2001/42/CE, le recours tranché par la Cour constitutionnelle le 28 février 2019 tendait à obtenir l’annulation de plusieurs dispositions du Code wallon du développement territorial en raison de l’absence d’évaluation de leurs incidences environnementales préalablement à leur adoption.
Étaient visés les articles D.II.28, alinéa 2, D.II.36, §2, alinéa 2, et D.II.37, §1er, alinéa 7, du Code wallon du développement territorial, c’est-à-dire des dispositions définissant les affectations admises dans les zones d’activité économique, agricole et forestière[8]. Ces dispositions concernaient, plus précisément, l’admissibilité des éoliennes dans ces zones.
- Dans son arrêt n°33/2019 du 28 février 2019, la Cour constitutionnelle commence, de manière classique, par trancher les questions relatives à sa compétence, à l’intérêt des requérants et à la recevabilité des moyens. Elle se penche, ensuite, sur le fond de l’affaire.
Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (points B.20.1. à B.20.8.), la Cour constitutionnelle rappelle que « […] les dispositions attaquées fixent les prescriptions générales d’affectation dans les zones d’activité économique, les zones agricoles et les zones forestières. Ces prescriptions s’appliquent non seulement aux plans de secteur qui sont établis ou modifiés après l’entrée en vigueur du CoDT, mais aussi, suivant les modalités prévues par l’article D.II.63, aux plans de secteur applicables à la date d’entrée en vigueur du CoDT » (point B.21.1.). Or, selon la Cour constitutionnelle, « […] même si [elles] ont une incidence sur les plans de secteur applicables […] », de telles dispositions « […] ne sauraient être considérées, qu’elles soient examinées séparément ou lues dans leur contexte, comme des actes qui établissent « en définissant des règles et des procédures de contrôle applicables au secteur concerné, un ensemble de significatif de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre d’un ou de plusieurs projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement », pour rependre la formulation utilisée par la Cour de justice de l’Union européenne » (point B.21.1.).
La Cour constitutionnelle reconnaît, ensuite, que « […] dans des circonstances particulières, certains actes de nature réglementaire doivent être considérés comme des plans ou programmes relevant du champ d’application » de la directive 2001/42/CE (point B.21.3.). Toutefois, elle juge qu’ « […] il n’en reste pas moins que ni la réglementation, ni la législation en tant que telle n’entrent dans son champ d’application » (point B.21.3.). Selon elle, « [c]onsidérer que le CoDT ou certaines de ses parties relèvent du champ d’application de la directive reviendrait à dire que toutes les législations et toutes les réglementations susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement doivent être soumises à une évaluation des incidences conformément à la directive ». Or, selon la Cour constitutionnelle, « [u]ne telle conclusion ne correspond pas à l’objectif du législateur européen » (point B.21.3.).
Pour la Cour constitutionnelle, l’absence d’évaluation des incidences environnementales des dispositions attaquées est d’autant moins problématique que « […] « les installations destinées à l’exploitation de l’énergie éolienne pour la production d’énergie (parcs éoliens) » sont soumises à une évaluation des incidences sur l’environnement selon les modalités fixées par l’article 4, paragraphe 2 à 4, de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (annexe II, point 3, i) » et que « [l]e cas échéant, il faudra également réaliser une évaluation appropriée conformément à l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages » (point B.21.4.).
Enfin, la Cour constitutionnelle rejette la demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, qui avait été formulée par plusieurs parties. Elle rappelle qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’ « [u]ne juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu’une question de droit [de l’Union européenne] se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu’elle n’ait constaté que la question soulevée n'est pas pertinente ou que la disposition communautaire en cause a déjà fait l’objet d'une interprétation de la part de la Cour ou que l’application correcte du droit communautaire s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable […] »[9]. Or, pour la Cour constitutionnelle, la Cour de justice de l’Union européenne « a suffisamment expliqué les dispositions pertinentes de la directive 2001/42/CE » (point B.21.6.).
Caroline Delforge
Avocate au barreau de Charleroi
[1] Directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, J.O., L 197, 21 juillet 2001, pp. 30-37.
[2] Ainsi que le souligne L. Demez, « [c]ette définition, qualifiée par certains de « procédurale » ou « tautologique », se borne à préciser les conditions formelles que l’acte doit respecter pour pouvoir être qualifié de plan ou de programme, mais ne dit mot quant aux caractéristiques ou conditions de fond qu’il doit présenter pour être qualifié comme tel » (L. Demez, « Les plans et programmes soumis à évaluation des incidences environnementales : clarification ? », J.T., 2018, pp. 329-338, spéc., p. 331).
[3] Voy. e.a. les arrêts suivants : C.J., 17 juin 2010, aff. jointes C-105/09 et C-110/09, Terre wallonne et Inter-Environnement Wallonie ; C.J., 22 mars 2012, C-567/10, Inter-Environnement Bruxelles e.a. ; C.J., 11 septembre 2012, C-43/10, Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias e.a. ; C.J., 10 septembre 2015, C-473/14, Dimos Kropias Attikis ; C.J., 27 octobre 2016, C-290/15, D’Oultremont e.a. ; C.J., 7 juin 2018, C-671/16, Inter-Environnement Bruxelles e.a. ; C.J., 7 juin 2018, C-160/17, Thybaut e.a.
[4] Arrêt D’Oultremont, précité, point 40.
[5] Arrêt D’Oultremont, précité, point 49.
[6] Voy. not. F. Haumont, « Arrêt « d’Oultremont » : des lois et règlements soumis à évaluation environnementale préalable », J.D.E., 2017/1, pp. 15-16, spéc. p. 16 ; E. Gonthier, « La Cour de justice définit la notion de « plan et programme », Amén., 2017/3, pp. 181-191, spéc. pp. 185-191 ; E. Gonthier, « La participation du public et l’évaluation des incidences sur l’environnement », in Le nouveau Code du développement territorial (CoDT). Décret du 20 juillet 2016 (coord. M. Delnoy, C.-H. Born), Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 535-563, spéc. pp. 559-561 ; C.-H. Born, « L’inexorable progression de la participation du public dans le processus normatif en matière d’environnement et d’urbanisme » in Les visages de l’État. Liber amicorum Yves Lejeune (coord. P. d’Argent, D. Renders, M. Verdussen), Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 123-146, spéc. pp. 133-137.
[7] Proposition de décret modifiant les articles D.II.23, D.II.64, D.VI.17, D.VI.49 et D.VII.1 du Code du Développement territorial et visant à y insérer un article D.II.25bis, Avis du Conseil d’État, Doc., Parl. w., 2016-2017, n°790/3, p. 4. Voy. également Proposition de décret modifiant l’article D.V.1 du Code du Développement territorial, Avis du Conseil d’État, Doc., Parl. w., 2016-2017, n°789/3, p. 4 ; Proposition de décret modifiant l’article D.IV.9. du Code du Développement territorial, Avis du Conseil d’État, Doc., Parl. w., 2016-2017, n°778/1, p. 4.
[8] L’article D.IV.11 du Code du développement territorial était initialement, lui aussi, visé par le recours. Les requérants se sont toutefois désistés de leur recours en ce qu’il portait sur cette disposition.
[9] C.J., 6 octobre 1982, C-283/81, CILFIT / Ministero della Sanità.