Rimbaud/Verlaine, une affaire insolite par François Swennen

Les juges de Bruxelles ne se sont pas fatigués avec le dossier de Paul. Ils ont dit pour droit : « À Bruxelles, le dix juillet mil huit cent septante-trois, Paul Verlaine a volontairement porté des coups et blessures ayant entrainé une incapacité de travail personnel à Arthur Rimbaud ». C’est tout. Dans l’enchainement, ils lui ont infligés la peine la plus sévère édictée par leur code – deux ans d’emprisonnement – pour ce délit, sans aucune autre justification que celle, nauséabonde, qu’ils n’ont pas eu l’honnêteté, ou le courage, ou simplement l’envie, de dévoiler dans les attendus de leur jugement. Ils ont peut-être aussi, tout bêtement, buté sur le mot à choisir – immorales ou plutôt contre-nature – et trouvé moins périlleux, et surtout plus confortable, de se taire.

Ainsi s’exprime l’un des trois témoins que François Swennen a convoqués pour donner un nouvel éclairage sur cette étrange – insolite ? – affaire : le 10 juillet 1873 à Bruxelles, Paul Verlaine tire deux coups de feu sur son jeune amant, Arthur Rimbaud.

Le premier des témoins a-t-il réellement existé ? On n’en est pas sûr. Qui est ce mystérieux Jef Rosman, peintre amateur dont on ne connaît qu’une œuvre, le portrait qu’il réalisa d’Arthur Rimbaud, étendu sur son lit, le regard perdu dans le vide, quelques jours après les coups de feu ? Il est vrai qu’il y a tellement de mystère dans l’histoire de ce jeune poète qui cessa d’écrire avant d’avoir atteint l’âge de vingt ans (à commencer par savoir s’il est réellement l’auteur de toutes les œuvres qu’on lui prête[1]…).

Seront ensuite entendus le juge chargé de l’instruction de l’affaire (ne pas confondre avec le substitut qui requit dans l’affaire, peu de temps avant d’être surpris à tricher au baccara - il pratiquait la « poussette », pratique frauduleuse de substitution de la mise après le tirage -, d’être déchu de sa fonction et de s’exiler à Paris où il est enterré à quelques pas du Baiser de Brancusi) et le directeur du cirque où Rimbaud exerça ensuite la fonction de guichetier.

Trois regards donc sur cette période de la vie de l’homme aux semelles de vent qui a fasciné - et fascine toujours - tant de générations.

Ainsi lui ai-je révélé que, moi aussi, j’avais à son jeune âge rêvé de gloire et de littérature, mais que depuis, la lecture quotidienne et fastidieuse de pièces de procédure au style rarement chatoyant et aux intitulés rébarbatifs – réquisitoire de plus ample informé, ordonnance de soit-communiqué, plainte par action ou par intervention – avait fini, hélas, par m’en détourner.

Pas de point commun entre le juge Théodore ‘t Sertstevens (qui instruisit donc l’affaire Rimbaud / Verlaine) et François Swennen. Là où la routine a très vite enseveli les ambitions littéraires du premier, elle a laissé intacte la passion du second. Avocat à Liège, puis juge au tribunal de première instance de Liège (il y préside notamment la chambre du conseil), le fils de René Swennen – auquel on doit plusieurs œuvres majeures – ne s’est pas laissé engluer dans la paperasse et les apostilles. Sa passion pour Rimbaud est intacte (il a aussi publié des travaux de recherche dans la revue d’études rimbaldiennes – oui, il y a un adjectif pour désigner ce qui se rapporte au génie de Charleville – Parade sauvage) et c’est avec une plume d’une rare élégance qu’il nous livre ce petit ouvrage si original, si étonnant.

Votre réponse me dépite et me fait songer à ces mots de la fable : « Volontiers gens boiteux haïssent le logis. » Mes propos vous offusquent. Je vous demande pardon et invoque à l’appui de ma requête cette circonstance atténuante : en qui vous adulez ce voyant plus grand que le grand Hugo, je n’ai vu, moi, sans retrait, qu’un poinçonneur de tickets plus ou moins bilingue. Si dans les nuées résonnait un clairon chaque fois que nous méjugeons autrui, quelle incessante et tonitruante apocalypse !

Il n’est donc pas nécessaire d’aimer Rimbaud pour apprécier ce petit livre. Mais il est plus que probable que sa lecture vous aidera à l’aimer.

Patrick Henry

[1] Puisque certains soutiennent qu’une partie au moins de ses Illuminations aurait été écrite par Germain Nouveau.

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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