Mots agaçants (3) … d’avocats, souvent.

On ne peut pas Initier un travail, une entreprise. Ni une procédure.

Il n’est en effet pas possible de l’Instruire de ce qui reste ignoré du plus grand nombre. On peut être initié aux usages d’une profession, voire en acquérir les rudiments en s’initiant à sa pratique, mais Initier n’est PAS un synonyme de commencer.

Le français dispose de suffisamment de locutions ou de verbes appropriés tels que lancer, inaugurer, engager, entreprendre, entamer, être à l’origine de … Prenez donc l’initiative de ne plus “initier” tout et n’importe quoi.

Dans le même registre, le verbe Débuter ne peut PAS avoir de complément d’objet direct. On dira Il débute ou il débute dans la carrière, et non Il débute sa carrière. On dit Il commence sa journée, il ouvre la séance, et non Il débute sa journée, etc.

Idem pour le verbe Démarrer. La voiture démarre, le moteur démarre, on les fait démarrer. On ne dit pas qu’on démarre la voiture. Une émission peut démarrer, l’animateur commence l’émission. Contrairement à ce qu’il dit neuf fois sur dix, l’intéressé ne démarre PAS l’émission.

Ndr : C’est généralement le même qui dit C’est de cet auteur dont je parle quand c’est de cet auteur qu’il parle (ou que c’est l’auteur dont il parle) ; un certain Laurent R., omniprésent en France, ne la rate jamais, celle-là !

Au fil de la procédure – à chaque palier ? –, l’avocat doit fréquemment Pallier l’indigence de ses preuves : il n’est pas question qu’il pallie à pareille défaillance. Tout au plus peut-il parer à l’argumentation adverse. Pallier signifiait à l’origine Couvrir d’un pallium, c’est-à-dire d’un manteau qui cache, dissimule. Ce rappel permettra peut-être de garder en mémoire la construction transitive de ce verbe, et de … pallier une erreur récurrente (je ne vous embarque pas jusqu’au Pailler – garnir de paille – que j’ai déjà lu dans des conclusions…).

Je l’ai déjà dit, mais bis repetita …, l’Expertise est une procédure demandant le point de vue éclairé d’un expert (c’est aussi le nom de son analyse, ellipse de Rapport d’expertise). Elle peut être judiciaire, médicale, psychiatrique, etc. Il ne s’agit pas d’un synonyme d’expérience, et ce terme ne doit pas non plus remplacer la compétence ou le savoir-faire. L’expertise n’est PAS une qualité.

Allez vite me corriger tous vos sites Internet et leurs ronflants domaines d’expertise (pff) ! Tapez donc “avocat - domaines d’expertise” dans votre moteur de recherche : vous aurez rapidement quelques centaines d’immodestes …

Le verbe Clôturersignifie « enclore, fermer d’une clôture ». Ce verbe ne s’emploie qu’au sens propre, Clôturer des prés. Il n’a pas de sens figuré et ne peut donc s’employer avec le sens de « terminer » en lieu et place de verbes comme clore, achever, conclure ou de périphrases comme mettre fin à, mettre un terme à.

On notera que Clôture, plus ancien de six siècles, a, lui, des sens figurés et que l’on dit fort bien la clôture de la Bourse,la clôture d’un dossier, d’un compte, d’un exercice, ou d’une séance.

Bref, à l’audience, le greffier prend acte du fait que les débats sont clos, PAS qu’ils sont clôturés

Après cette clôture viendra le délibéré. Ça existe, ce qui n’est pas le cas du trop entendu Déroulé (déroulement est largement suffisant !).

Peut-être le tribunal décidera-t-il de Sanctionner. Ce verbe signifie d’abord, en droit constitutionnel, « donner son approbation à une loi pour la rendre exécutoire ». Par extension, il s’utilise aussi au sens de « valider, entériner » : Trois années d’études sanctionnées par une licence. Il signifie enfin couramment « punir une faute ». Comme le précise l’Académie, “C’est en effet bien la faute qui est sanctionnée et l’on se gardera d’employer ce verbe avec le nom du coupable comme complément d’objet direct. Pour ce dernier on aura recours à des verbes comme condamner, châtier, punir, etc.”. Et donc, le tribunal sanctionnera le délit, PAS le coupable.

Quand des magistrats doivent Se concerter afin de parvenir à un accord, ils cherchent une entente en vue d’un jugement commun. Parfois ont-ils eu la même idée sans se concerter.

Par contre, lorsque des syndicats déclarent, indignés, Nous n’avons pas été concertés, ils commettent une erreur (sans doute provoquée par la ressemblance avec Nous n’avons pas été consultés). Moralité : ne pas chercher un mot sentencieux – a fortiori quand il est inexact – s’il en existe un autre, correct et adéquat.

Je viens d’utiliser la locution Par contre. Je profite donc de l’occasion pour dire que ce n’est PAS une erreur, contrairement à une idée répandue.

L’Académie française rappelle au sujet de cette vieille polémique : « Condamnée par Littré d’après une remarque de Voltaire, la locution adverbiale Par contre a été utilisée par d’excellents auteurs français, de Stendhal à Montherlant, en passant par Anatole France, Henri de Régnier, André Gide, Marcel Proust, Jean Giraudoux, Georges Duhamel, Georges Bernanos, Paul Morand, Antoine de Saint-Exupéry, etc. Elle ne peut donc être considérée comme fautive, mais l’usage s’est établi de la déconseiller, chaque fois que l’emploi d’un autre adverbe est possible ».

Bref, Voltaire a fait son malin et Littré l’a bêtement suivi. L’Académie ajoute opportunément, à l’entrée (En) revanche, que Par contre peut même lui être préférable dans certains contextes : Comme le faisait remarquer Gide, on ne dirait pas : “Mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche, j’y ai perdu mes deux fils”.

Vilaine “revanche”, non ?

Une publicité radiophonique pour une marque japonaise (“qui vend l’hybride au prix d’une essence”) parvient à glisser deux fois En vrai en 20 secondes de spot ! Sans doute estime-t-elle ainsi flatter l’oreille du con… sommateur.

Certes, une préposition (ici, en) peut introduire un adjectif substantivé. Il est ainsi possible de s’inscrire en faux. On peut aussi dire, pour rire et en s’infantilisant sciemment, pour de vrai, mais on n’a alors pas la prétention d’user du bon français. Il en va de même d’en vrai (infantilisation comprise, mais apparemment involontaire cette fois) que nombre de locutions bien implantées dans l’usage permettent d’exprimer sans bêtifier : en réalité, en fait, à dire vrai, à bien y regarder ou encore en vérité. Cette dernière formule a une consonance quelque peu évangélique dont l’usage répété d’en vrai pourrait prolonger le trait : “Heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux est à eux”.

De même, l’irritant Impact que nous servent en tic verbal tous les médias est franchement superflu, et l’inexistant verbe impacter est lui aussi assommant et médiocre.

Plus rien ni personne ne semble atteint, touché, influencé, marqué, contaminé, frappé (de plein fouet ou non), ému, bouleversé, choqué, déstabilisé, retourné ou altéré : tout semble devoir être définitivement « impacté » !

Quand l’envie vous prend de dire un mot pareil, pensez à son stade suivant, le trou de balle. Ça vous en dissuadera peut-être …

Dans un contexte totalement dépourvu d’effet violent, de vive répercussion, de point de choc d’un projectile – vraies significations du mot impact –, un journaliste a usé récemment de cette formule pléonastique doublement incorrecte : “Les gens vont tous être impactés, du coup !”. Pff et re-pff …

Jari LAMBERT
gh.lambert@avocat.be


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A propos de l'auteur

Jari
Lambert
Avocat au barreau de Liège

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