Du Coq à l’Asne

Retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !

L’expression : La vérité sur le faux jeton

À défaut de fêter la rentrée, je vous propose de fêter les 10 ans de la réplique du bâtonnier Renette à la Rentrée de la Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège (pas encore Huy à l’époque). (Toute excuse est bonne pour fêter).

En effet, le 21 novembre 2014, Me André Renette, bâtonnier de Liège alors, effectuait durant son discours de réplique une subtile transition entre deux sujets et en profitait pour nous expliquer l’origine de l’expression « passer du coq à l’âne » (vous pouvez le réécouter sans vous lasser, c’est très rafraîchissant et tonifiant : https://www.youtube.com/watch?v=dSQA-LONA3Y, à la minute 30:35).

Tout le monde connaît ce procédé littéraire qui se joue de la logique en sautant d’un sujet à l’autre (à la base de la sottie, dont il définit aussi un sous-genre, en faveur au XVe siècle).

Certains font remonter cette locution au conte des frères Grimm « Les Musiciens de Brême », paru en 1815 dans la deuxième édition de Kinder-und Hausmärchen, où les « musiciens » sont quatre animaux : un âne, un chien, un chat et un coq. Pour épouvanter des brigands, ils montent les uns sur les autres, l’âne en bas et le coq en haut. L’âne se trouvait donc à l’opposé du coq et « passer du coq à l’âne » signifiait alors « passer sans transition d’un extrême à l’autre ».

Sans certitude, selon Claude Duneton, cette expression serait en fait un dérivé de celle datant du XIVe siècle : "saillir du coq à l'asne". Au XIIIe siècle, le mot "asne" désignait une cane. "Saillir" quant à lui n'a pas changé de sens, il signifie toujours "s'accoupler". Or, il semble que les coqs essaient parfois de se reproduire avec des canes. "Saillir du coq à l'asne", au XIVe siècle, puis « Sauter du coq à l’asne » au XVe siècle, serait donc devenu "passer du coq à l'âne" par déformation du mot "ane" sans accent circonflexe. Ce dernier n’aurait été ajouté qu’à la suite du contresens opéré. Au XXIe siècle, certains sauteront de même du Coca Light.

On ne m’enlèvera point de l’idée que, sous l’égide de l’orthographe actuelle, c’est bien pour la poule que c’est le plus dur de passer du coq à l’âne…

L’insulte : Dire des brimborions

Un brimborion était une babiole, un objet dénué de valeur. « Dire des brimborions » signifiait « raconter des futilités », des choses inutiles[1]. Dans le Nord de la France, on se servait aussi du mot brimborion pour désigner un petit mendiant ou un petit polisson, le mot brimbeux désignant aussi un gueux, un mendiant. Rabelais utilise aussi brimborion pour parler du clitoris.[2]

Selon mon vénéré père, à qui je dédie cette rubrique, le « brimborion » serait une expression issue du jeu de cartes, le whist. Qui se présenterait quand il y a « trou » (il y a trois as chez un joueur, le 4e as « bouche » et ce joueur peut proposer le « brimborion »). Mon père n’étant plus certain de cette règle, je suis allé vérifier et ne puis que confirmer son grand savoir, en note de bas de page pour les connaisseurs[3].

Le mot : Engeigner, v.tr.

Vieux mot qui a signifié « prendre par le moyen d’un engin, d’un piège », et, par extension, « tromper ». « Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui, Qui souvent s’engeigne soi-même, J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui ; Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême. »[4].

La curiosité : La famille « chiffre et zéro »

Le nom chiffre a une histoire intéressante : au XIIIe siècle, il signifiait « zéro », ce à quoi on ne se serait pas attendu. Il fallut attendre 1485 pour qu’il signifiât « signe qui sert à représenter les nombres » (on notera qu’il prit aussi le sens de « écriture secrète » en 1497, mais c’est une autre histoire).

Au demeurant, chiffre est un emprunt à l’arabe sifr, « zéro », ce qui explique le premier sens du nom français. Ensuite, chiffre a nommé non seulement le zéro, mais aussi toutes les autres figures du système numérique.

Attesté en français en 1485, avec le sens que nous lui connaissons toujours, zéro, pour sa part, est un emprunt à l’italien zero, « zéro » et « rien ». Ce qui est remarquable, c’est que le zéro italien est une altération du nom zefiro, lui aussi italien, issu du latin médiéval zephirium, emprunté à l’arabe… sifr, « zéro » !

On comprend donc la répartition des rôles en moyen français : zéro a signifié « zéro » et chiffre a perdu ce sens de « zéro » pour se consacrer à celui de « figure numérique ». Et ces deux noms français viennent, en définitive, de l’arabe sifr.

Jean-Joris Schmidt, 
Ancien administrateur

[1] « Prenons garde de tomber dans le brimborion » (Flaubert, Correspondance,1857, p. 212). « Appeler évènements des brimborions sans importance (...) ça fait pitié quand on y pense » (G. Duhamel, Confession de minuit,1920, p. 19)

[2] On l’utilise aussi pour « un morceau de » : « Un brimborion de peau » (G. Duhamel, Confession de minuit,1920p. 13). « J'avais pas une bribe, pas un brimborion d'honneur » (Céline, Mort à crédit,1936, p. 340

[3]Le Brimborion ou la Rabrouche : Après un trou, on peut effectuer une donne ou un tour de donne de Brimborion. Le donneur distribue 17 cartes (6, 5, 6) aux autres joueurs et garde la dernière. Une fois la donne effectuée, les joueurs donnent chacun quatre cartes au donneur. Ce mode de jeu s'appelle aussi parfois Brin (abréviation de Brimborion), Fontainebleau ou encore Rabrouche et la distribution des cartes peut aussi se faire selon (5,4,5,3) (ou encore (4,5,4,4) selon les régions). Les règles entre Brimborion et Rabrouche sont cependant légèrement différentes, selon que les trois joueurs rendent 4 cartes chacun ou 5 cartes chacun. Dans ce deuxième cas, le joueur rend alors 3 cartes de son choix qu'il redistribue (aléatoirement) aux trois autres joueurs.

[4] Jean de la Fontaine, Fables IV

A propos de l'auteur

Jean-Joris
Schmidt
Ancien administrateur

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