Perry Mason nous l’a appris, le pire pendant une audience est de se laisser surprendre. Si le juge pose une question, il faut que l’avocat connaisse la réponse parce qu’il la préparée avec son client et avec les témoins lorsque c’est possible…
Ne préparez pas votre plaidoirie, préparez-vous à plaider.
C’est un peu ce à quoi s’attache Maître Biederman, avocaillon bruxellois généraliste auquel son fantasque ami d’enfance Errol a confié la défense de l’énigmatique Iulia, une réfugiée russe, arrêtée à Zaventem lors d’un banal contrôle douanier.
Énigmatique, mais aussi insaisissable. Et séduisante. Maître Biederman n’est pas le seul à tomber sous son charme. Sa mère, elle-même russe juive, nostalgique de l’époque stalinienne, semble trouver une nouvelle jeunesse auprès de la fascinante Iulia. Au point de concevoir le projet de s’envoler avec elle pour cette Jérusalem qu’elle avait toujours snobée jusque-là.
Mais comment aider une cliente qui vous mène en bateau, de mensonges en semi-vérités ? Comment faire la part entre l’invraisemblable et l’inacceptable ?
Si je pensais la convaincre, je me trompais. Celui qui l’empêcherait d’avoir le dernier mot n’était pas encore né.
– Je parie que les juges aussi manquent d’imagination. C’est pourquoi mieux vaut leur raconter des craques qu’ils sont prêts à avaler plutôt que des faits qui leur sembleront improbables. Ne me dites pas qu’il vous est interdit de mentir ?
Je n’allais pas me laisser entraîner dans une discussion sans fin sur les règles de notre profession, d’autant que j’avais commencé à les enfreindre allègrement ces derniers jours.
Alain Berenboom, de sa plume alerte et économe, nous emmène dans les méandres d’un monde souterrain, qui se développe autour de nous, dans des angles morts qui n’accrochent notre regard que très rarement. Celui des réfugiés ou celui des espions ? Celui des trafiquants ou celui des oligarques ?
Je n’en dirai pas plus. Si ce n’est peut-être en lui donnant la parole. Quand on lui demande comment il concilie son métier d’avocat et sa passion pour l’écriture, Alain Berenboom répond qu’il s’agit de « deux vies différentes, mais elles se nourrissent l’une de l’autre. Je n’ai jamais écrit de roman en m’inspirant de gens ou de dossiers que j’ai rencontrés. Ce dont j’ai envie c’est d’explorer la réalité politique. Généralement mes romans explorent cela à travers la fiction ».
La réalité politique, c’est donc celle de ce monde que Vladimir Poutine fait aujourd’hui tanguer, un monde où les hypercapitalistes, les agents secrets et les agents d’affaires se mêlent et se conjuguent pour nous faire errer comme sur un bateau ivre.
Ajoutons qu’après Monsieur Optimiste, qui était centré sur la figure de son père, Alain Berenboom met cette fois en scène sa mère, qui est plus qu’un personnage secondaire dans cette intrigue. Une jolie façon de lui rendre hommage, avec une tendresse teintée d’humour.
Ma mère adorait me donner des leçons de droit. Une matière qu’elle avait beaucoup approfondie en avalant des années durant feuilletons et séries policières. Je soupçonnais Perry Mason d’avoir été – plutôt que mon pauvre père – le premier et le principal homme de sa vie. Je commençais à protester d’une voix gémissante contre ses arguties juridiques quand je m’aperçus que, bon Dieu, elle avait raison, ça pouvait marcher !
Perry Mason par-ci, Perry Mason par-là. Est-ce donc lui le modèle de l’avocat d’aujourd’hui ?
Patrick Henry,
Administrateur
