Avaler des poires d’angoisse

Retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !

L’expression : Avaler des poires d’angoisse

Je désirais aujourd’hui rendre hommage à Jules Messinne, décédé ce 10 mai 2025. Ce professeur de droit pénal à l’ULB a marqué quelques générations d’étudiants par son humour, son humanité, sa gentillesse et sa science. Il avait aussi le chic lors des premiers cours pour raconter avec délectation les tortures moyenâgeuses, et notamment le fameux supplice de Damiens. Ponctuant les pires horreurs (« poucettes », « question » etc.) par un rire sadique aux consonnances de « gni gni gni ». Ce qui délectait un auditoire hilare et passionné. Voici donc une expression qui lui aurait plu. Et je reproduis un texte reprenant son origine.

Subir des traitements cruels.

Vivre des situations très désagréables.

Souvenez-vous du Moyen Âge, cette époque atroce où la télévision et Internet n'existaient pas. Et pourtant, il fallait bien trouver d'autres moyens d'occuper ses loisirs, non ?

Alors, une des occupations préférées de quelques-uns était de torturer ceux de leurs congénères qui avaient une tronche qui ne leur revenait pas ou qui leur avaient cherché quelques noises. Quel plaisir, en effet, d'arracher des ongles, briser quelques membres à coups de barres de fer, d’énucléer l'œil droit, d’introduire un fer rouge dans l'anus ou bien de couler du plomb fondu dans un abdomen ouvert, par exemple.

Malheureusement, un gros défaut de ces amusements était le bruit car ceux qui, dans ces activités ludiques, avaient le rôle passif, un peu à leur corps défendant, avaient la fâcheuse habitude de hurler de douleur, ce qu'on ne pouvait évidemment pas leur reprocher, en plus. Il aurait fallu en effet être un tantinet sauvage pour les menacer de quoi que ce soit s'ils continuaient à crier.

Alors, pour ne plus les entendre, un bon moyen consistait à leur enfoncer dans la bouche un instrument qui, selon Larousse, « s'ouvrait au moyen d'un ressort, se développait en forme de poire et étouffait complètement les cris ». Autant dire que celui qui avait cette chose dans la bouche et qui devait subir les petites gâteries de ses camarades de jeu, devait ressentir une certaine angoisse, incapable qu'il était d'extérioriser ce qu'il ressentait.

Cela dit, ces instruments, dont le nom est cité au XVe siècle, servaient aussi plus simplement à bâillonner un prisonnier pour l'empêcher de parler. Et, pour être franc, les traitements subis devaient générer un peu plus que de la simple angoisse, comme on l'entend de nos jours.

Alors pour préciser tout de même un peu mieux l'appellation d'origine, on notera qu'étymologiquement, angoisse vient du latin angere, qui voulait aussi dire « serrer » ou « tourmenter », et ce sont ces acceptions qui ont donné le nom de l'objet.

Si, de nos jours, le genre d'amusement lié aux poires d'angoisse originelles est tombé en désuétude dans les pays dits civilisés, on peut toujours dire de celui qui vit des situations extrêmement désagréables qu'il « avale des poires d'angoisse ».

À côté de cette explication, on ne peut passer sous silence l'hypothèse qu’évoquent certains linguistes, la poire venue du village d'Angoisse, en Dordogne, fruit qui était, paraît-il, très âpre, âcre et dur à mâcher, surtout destiné à fabriquer du cidre ou à être cuite.

La pera d’Engoyssa, en Occitan, aurait été connue dès le milieu du XIIIe siècle, et ce serait un peu par dérision et en raison de l'homonymie que l'instrument de torture aurait été nommé ainsi au milieu du XVe siècle.

L’insulte : Ribleur

Vaurien, débauché

Vient du verbe ribler qui signifiait « courir les rues la nuit »[1]. Signifie aussi subtiliser quelque chose[2]. Ou aiguiser une meule en la frottant contre une autre meule.

Le mot : Poire, n.f.

Contrepoids d’une balance romaine.

Partie renflée du battant qui frappe contre la cloche.

La curiosité : La famille Set et secte

Emprunté au latin secta, « ligne de conduite, suite, partie, secte », le nom secte apparut en français vers 1155 sous la forme siecte, avec le sens de « doctrine ». Vers 1230, il prit la forme sete, qui signifiait « groupe de personnes partageant une doctrine religieuse », mais aussi « suite, séquence ». Sete, « séquence », traversa la Manche et devint le nom set, « secte religieuse » (fin du XIVe siècle) puis, en se croisant avec le verbe to set, « établir, fixer », ce nouveau nom anglais set signifia aussi « ensemble d'objets » (vers 1450), ce qui continuait le sens de « séquence, suite ». Comme le français adore reprendre à l'anglais les mots qu'il lui a donnés, set s'embarqua de nouveau et revint sur le continent : en 1833, set est attesté en français avec le sens de « clan, groupe de personnes », en 1893 avec celui de « division d'un match de tennis », puis en 1950 avec celui de « napperon individuel d'un service de table ». L'étude des familles de mots procure toujours de belles surprises.

Jean-Joris Schmidt,
Ancien administrateur


[1]Va t'en, ribleur (...) va t'en sans plus d'esclandre, (Nerval, Nouv. et fantais., 1855, p. 211)

[2]Deux étudiants du collège d'Harcourt qui ayant entendu le projet de leurs camarades de Montaigu avaient (...) mis à fin la glorieuse entreprise de leur ribler leur souper (Nerval,Nouv. et fantais., 1855, p. 130)

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Jean-Joris
Schmidt
Ancien administrateur

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