Depuis début décembre 2019, vous présidez le Collège des Cours et Tribunaux. Pourriez-vous nous rappeler brièvement le rôle de cette institution et son fonctionnement ?
Le Collège des cours et tribunaux est composé de 10 chefs de corps, de façon paritaire au niveau linguistique, dont trois premiers présidents de cour d’appel, un premier président de cour du travail, trois présidents de tribunal de première instance, et respectivement d’un président de tribunal de l’entreprise, de tribunal du travail et de justices de paix et de tribunaux de police. Les membres du Collège sont élus pour un terme de cinq ans par leurs collègues-chefs de corps et combinent leur mandat avec celui de chef de corps.
La loi du 18 février 2014 relative à l’introduction d’une gestion autonome a pour objectif d’obtenir un droit de décision autonome concernant la gestion et l’attribution de ses propres budgets et moyens de fonctionnement pour les cours et tribunaux, par le biais du Collège (article 181 du Code judiciaire) qui constitue cet organe chargé de la gestion. Son objectif est d’assurer le bon fonctionnement du siège et de tendre vers des cours et tribunaux qui soient indépendants, de qualité, efficaces mais aussi et surtout orientés citoyen.
Le Collège a pour vocation principale, et comme ses missions légales le prévoient, d’apporter un soutien aux comités de direction de différentes manières :
- en soutenant les comités de direction dans leur gestion autonome ;
- en prenant et en facilitant les initiatives d’amélioration notamment par des mesures qui organisent entre autres l’informatisation, la gestion stratégique des ressources humaines, la mesure et la répartition de la charge de travail ;
- en adressant des directives contraignantes et des recommandations à tous les comités de direction ;
- en demandant de manière fondée, les moyens nécessaires et en veillant à une gestion et utilisation optimales de ceux-ci.
Le Collège des cours et tribunaux est aidé dans ses missions par un service d’appui composé d’une quarantaine de personnes.
Quelles sont, pour vous, les priorités auxquelles il faut que le monde politique travaille pour améliorer le fonctionnement de la justice ?
Toutes pistes d’amélioration de la justice - et qui sait si elles sont nombreuses - doivent d’abord garantir que le pouvoir judicaire sera en mesure d’exercer ses missions dans le respect des principes fondateurs de l’Etat de droit et de l’indépendance de la Justice, justice orientée vers les citoyens.
Partant de là, trois axes stratégiques ont été dégagés par l’actuel Collège :
- le développement d’une digitalisation moderne de la justice. La crise « Covid » a mis en lumière toutes les faiblesses de notre système informatique. Nous devons pouvoir offrir à nos collaborateurs, magistrats ou membres du personnel, mais aussi aux justiciables et à nos partenaires de la justice, avocats, huissiers de justice, notaires etc.., un service public « 4.0 », à la mesure de l’importance de nos missions.
Le Collège travaille, dans ce cadre, à une enquête des besoins de tous les acteurs internes mais aussi externes. Nous avons reçu la collaboration enthousiaste du barreau (et d’autres) dans le cadre de ce projet appelé « JustNew ».
- Une analyse détaillée des besoins et une juste répartition des ressources pour donner à chaque juridiction les moyens de fonctionner de façon optimisée. Cette répartition équitable des ressources passe par la fameuse « mesure de charge de travail», entamée il y a de nombreuses années et qui doit maintenant être finalisée. Les résultats de cet exercice devraient permettre, notamment, aux juridictions en sous-effectifs, d’être renforcées, ce qui assurera ensuite une diminution des délais de traitement par exemple.
- La mise en œuvre de l’autonomie de gestion des cours et tribunaux. Il ne s’agit pas d’une fin en soi, mais d’un moyen en vue d’améliorer le fonctionnement des cours et tribunaux. Actuellement, la gestion du pouvoir judiciaire et de ses ressources est assurée par le pouvoir exécutif. Or, nous sommes convaincus que nous savons, mieux que quiconque, ce dont nous avons besoin, eu égard aux particularités de notre fonction, en vue de rendre la justice dans de meilleures conditions. A cet effet, et dans le prolongement des travaux de l’ancien Collège, nous avons rédigé un plan d’action, intitulé « Plan d’action 2.0 », comprenant notre vision pour la gestion autonome du siège et un véritable « roadbook » pour son opérationnalisation. Ce document a été d’une part communiqué au Ministre de la Justice qui s’est montré enthousiaste, et d’autre part, commenté à l’occasion d’une session d’informations diffusée par vidéoconférence le 20 novembre dernier aux chefs de corps. Cette vidéo a également été diffusée plus largement, à tous nos partenaires internes et externes, dont les barreaux.
En dehors de ces trois piliers stratégiques, le Collège travaille aussi au développement de sa communication, mais aussi à des projets tels que l’attractivité de la profession de magistrat, le statut social etc…
Tous ces objectifs ne pourront être atteints bien entendu, que par un refinancement en profondeur du pouvoir judiciaire, en ce compris le service d’appui du Collège. Des budgets supplémentaires ont été promis dans l’accord du gouvernement. Dans l’attente d’une décision claire quant à l’attribution desdits budgets, tous les espoirs sont donc permis ...
Vous avez pris connaissance de la note de politique générale du nouveau ministre de la Justice. En quelques mots, qu’en pensez-vous ?
Nous nous réjouissons de certaines avancées proposées, et de l’enthousiasme et de la détermination manifestes de notre nouveau Ministre pour des réformes qui touchent à l’organisation de la justice et qui auraient pour vocation d’aboutir à une justice plus efficace et plus moderne. Des thèmes chers au Collège sont abordés dans cette note, tels que les trois axes stratégiques énoncés ci-dessus. Néanmoins, des zones d’ombres demeurent encore, notamment sur la manière dont les objectifs énoncés vont pouvoir se réaliser. Nous avons eu l’occasion de rencontrer le Ministre à plusieurs reprises et espérons pouvoir engager rapidement les premières négociations sur base de notre « Plan d’action 2.0 »., dans le cadre d’un dialogue serein et constructif. Le Ministre a indiqué à plusieurs reprises vouloir soutenir nos projets à condition d’obtenir des résultats tangibles. Ce terme a heurté sur le terrain car il s’apparente trop à la notion de rentabilité, peu compatible avec notre fonction. Nous pouvons par contre adhérer à l’idée et garantir, que la mise en place de projets concrets, tels que nous les avons définis, sera de nature à améliorer sensiblement l’efficacité de la justice. Ce signifie la même chose, mais dit autrement !
La priorité qu’il veut donner à la digitalisation de la justice nous ravi. Le Collège a fait savoir qu’il souhaite être davantage associé aux décisions, et en l’occurrence à l’élaboration du cahier des charges d’un futur marché public, afin d’y intégrer les résultats de notre projet « JustNew ». Nous plaidons en effet pour que les besoins et attentes du terrain soient enfin pris en compte et traduits dans des applications informatiques performantes et adéquates. Une modernisation (ou un remplacement) des plateformes informatiques existantes est absolument nécessaire. Il est urgent d’obtenir les moyens nécessaires à la mise en place d’un dossier « full digital » afin de fluidifier la communication interne et externe, et d’offrir aux justiciables un accès aisé à son dossier.
Enfin, à titre plus personnel, je dois souligner aussi mon immense satisfaction de lire dans la note de politique générale, à quel point notre Ministre souhaite encore « booster » le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits : il s’agit d’encourager avocats et magistrats à faire de la justice, un lieu de recherche de la « meilleure » solution au litige, qui n’est pas nécessairement, la voie judiciaire classique.
Vous avez entamé votre mandat un peu plus de trois mois avant le début de la crise du coronavirus. Nous imaginons que cela a eu un impact considérable sur votre travail. Y a-t-il eu, selon vous, une évolution dans les décisions du Collège et dans la communication de celles-ci depuis le mois de mars ?
La crise a surpris tout le monde et généré beaucoup de peurs. Personne n’a échappé à cette règle. Le fait qu’elle impacte de façon aussi foudroyante a nécessité des prises de décisions difficiles, et au départ, il est vrai, il a été très compliqué de trouver des règles de fonctionnement uniformes pour toutes les juridictions, tant les réalités de terrain sont disparates, que ce soit en raison des types de contentieux ou des diverses infrastructures permettant, de façon aisée ou pas, le respect des consignes de sécurité.
Mais tout au long de la crise du Covid 19, le Collège a cherché à encourager les différents comités de direction à prendre des mesures qui respectaient le juste équilibre entre le respect fondamental de la sécurité sanitaire des différents acteurs (magistrats, membres du personnel, avocats, justiciables et autres intervenants) et la nécessaire continuité du service. Les consignes ont varié en intensité et dans leur contenu en fonction des circonstances : au début de la première vague, le Collège a édicté plusieurs directives contraignantes en préconisant de limiter au strict minimum les prestations en présentiel.
Depuis le début de la seconde vague, alors que les juridictions avaient toutes été équipées de matériel de protection, les mesures préconisées ont pu être plus souples et dès la rentrée, le collège a encouragé, de manière uniforme, la reprise des activités de la façon la plus normale possible, en recourant, au besoin, aux techniques de vidéoconférence ou à la procédure écrite.
Il a fallu également assurer un soutien et une coordination les plus appuyés possibles aux différents comités de direction. Nous avons veillé à ce qu’une communication efficace avec les différentes juridictions soit assurée afin de de ne pas ajouter du « brouillard » dans un contexte déjà très incertain. Les cours et tribunaux ont continué à fonctionner sous la direction énergique des chefs de corps, des présidents de divisions, des greffiers en chef, greffiers de divisions et grâce au dévouement des magistrats et du personnel judiciaire. Dans la mesure où les précautions imposées pouvaient être garanties, ils se sont attachés à fournir un service de qualité, malgré des conditions de travail parfois difficiles. Par conséquent, de nombreuses affaires ont pu être traitées et de nombreuses audiences maintenues.
Comme toute organisation, et bien que la crise ne soit pas encore derrière nous, nous avons pris conscience de la nécessité de nous professionnaliser davantage dans la gestion d’une crise. Ainsi, nous avons mis en place une cellule de crise, qui permet déjà maintenant de gérer au mieux les demandes, en vue d’accroître notre réactivité et nous travaillons à l’élaboration d’un plan de gestion de crise.
En vous adressant aux 8.000 avocats francophones et germanophones, quel message voudriez-vous leur faire passer et quel message voudriez-vous également faire passer à leurs institutions (Ordres locaux et AVOCATS.BE) ?
Nous devons travailler, chacun dans son rôle, mais ensemble, à la nécessaire modernisation de « Dame Justice ». Le barreau doit, tout comme le pouvoir judiciaire, se réinventer pour garantir au justiciable, un service de qualité, en phase avec son temps. Le Collège encourage les cours et tribunaux à travailler, en bonne collaboration sur le terrain, avec les barreaux locaux, qui représentent les partenaires du quotidien des juges et membres des greffes. Toutes les initiatives proposées par le barreau ou par les comités de direction, en vue d’améliorer le fonctionnement de la justice, doivent donc pouvoir être analysées en concertation, en vue d’une éventuelle mise en œuvre, optimale pour tous. N’est-ce pas dans l’échange d’idées que naissent les plus grandes réalisations ?
Nos actions respectives doivent, à l’évidence, converger vers un objectif commun : celui d’assurer à nos citoyens un accès à une justice plus rapide, plus humaine, plus forte et surtout de qualité !