Pour une foi libre. Credo d'un laïc par Réginald de Béco

« Si tu as été un terrible pêcheur, avec tous les péchés du monde, et puis que tu es condamné à la peine de mort, et quand tu es là, tu blasphèmes, tu jures…, et au moment d’aller vers la mort, au moment où tu t’apprêtes à mourir, tu regardes le ciel et tu dis : ‘Seigneur !’ Où vas-tu, au ciel ou en enfer ? Au Ciel ! Seul va en enfer celui qui dit à Dieu : ‘ Je n’ai pas besoin de toi, je me débrouille seul’, comme l’a fait le diable qui est le seul dont nous sommes sûrs qu’il est en enfer ».

Ainsi donc, selon le pape François[1], j’irai en enfer. C’est ainsi. Mais peut-être y serai-je en compagnie de Françoise Hardy puisqu’elle chante : « Ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire, je n’ai pas besoin d’un pape pour cela »[2]… ?

Avouons-le d’entrée : cette chronique est probablement la plus difficile que j’aie eu à écrire sous cette rubrique.

Voyez donc. Réginald de Béco croit en Dieu, en un Dieu unique mais trine, en un Dieu bon et miséricordieux, qui est amour et ne demande que d’aimer, qui nous demande de Le prier et de pardonner. Il croit en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. Il croit en Jésus-Christ, son fils, conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge Marie, qui a souffert, a été crucifié, est mort, a été enseveli puis est ressuscité avant de monter aux cieux pour s’assoir à la droite du Père.

Réginald croit à la sainte église catholique, qui est « le peuple de Dieu », la communion fraternelle de tous les chrétiens, catholiques, protestants ou évangéliques, anglicans et orthodoxes (pour lui, la sainte église catholique ne se réduit donc pas à l’Église catholique de Rome, parce que celle-ci n’est pas universelle et que l’œcuménisme de tous les chrétiens est loin d'être une réalité).

Réginald croit à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle.

Et moi, je pense qu’il n’est pas très important de savoir d’où vint cette étincelle initiale qui engendra le big bang. Que pour donner un sens (dans toutes les acceptions de ce mot : signification, raison ou direction) à notre vie, il suffit de savoir qu’il en viendra d’autres après nous et d’en aimer au moins quelques-uns. Qu’il est hautement improbable qu’existe un dieu, au sens où les religions monothéistes l’imaginent, c’est-à-dire anthropomorphe et machiste (est-ce un pléonasme ? J’espère que non…). Qu’il est hautement improbable que cet univers, composé de milliards de milliards d’astres ait été créé pour qu’apparaisse, sur l’une des innombrables planètes qui gravitent autour de ces astres, depuis un temps représentant 0,00005% de celui qui s’est écoulé après ce fameux big bang, cette race intelligente et cruelle qui est la nôtre. Je pense que, s’il est probable que Jésus a existé, son existence n’a sans doute que très peu à voir avec ce que nous en content les écritures saintes et je ne crois pas un instant à sa résurrection.

Et je pense aussi, avec Sylvain Tesson, que « Si un Dieu était vraiment à l’origine de ce carnaval, il aurait fallu un tribunal de la plus haute instance pour le traduire en justice. Avoir doté les créatures d’un système nerveux était la suprême invention dans l’ordre de la perversité. Elle consacrait la douleur comme principe. Si Dieu existait, il se nommait ‘souffrance’ »[3].

Pourtant, je partage tous les préceptes de vie de Réginald. Je suis à ses côtés quand il plaide pour les droits humains, pour la tolérance, contre la peine de mort, quand il condamne l’inquisition, quand il se distancie de Pie XII, quand il s’écarte de la doctrine catholique toujours dominante en matière de sexualité. Je suis à ses côtés, autre mais solidaire, comme il est à côté de moi, dans le respect de mes différences[4].

Dans sa première épitre aux chrétiens de Corinthe (15,14 et 17), l’apôtre Paul écrit : ‘Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est illusoire’. Ce n’est pas le miracle d’un cadavre réanimé comme celui de la fille de Jaïre (Marc 5, 21-43) ou celui de Lazare (Jean 11, 1-44). L’un et l’autre, après avoir été ramené à la vie, mourront plus tard comme tous les êtres humains…

La Résurrection de Jésus est un mystère insondable, inexplicable, incompréhensible. Pour les contemporains des apôtres et des premiers chrétiens, comme pour beaucoup aujourd’hui, c’est de la pure folie, une invention délirante. Pourtant il paraît assez évident que le mystère inouï de la Résurrection de Jésus n’a pu être tout simplement inventé par quelques pêcheurs de poissons et collecteurs d’impôts de Galilée, désireux de fonder une secte après la crucifixion de leur chef.

La foi de Réginald de Béco est argumentée. Avec une très grande fluidité (ce qui distingue aussi cet ouvrage d’un bon nombre d’autres du même type) et, surtout, avec une connaissance exceptionnelle tant des écritures saintes et des enseignements des pères de l’église que des auteurs chrétiens les plus récents, il explique comment, aujourd’hui encore, après deux mille ans de carnages, après un siècle qui vît sans doute les plus atroces d’entre eux, il est encore possible de croire à un dieu qui nous aime, qui se serait fait homme pour nous sauver, pour nous permettre, sans jamais nous contraindre, de le suivre et de le rejoindre.

La foi de Réginald de Béco est libre. S’il se fond dans l’église catholique, il concède qu’il ne peut partager toutes ses prises de positions, ni d’ailleurs tous ses dogmes (en gros, je dirais que les dogmes postérieurs au premier schisme trouvent peu d’écho chez lui). Mais, explique-t-il, on peut faire partie d’une famille et se distancier de quelques-unes des opinions qui y prévalent. Marquer sa différence, exprimer un désaccord, ce n’est ni condamner, ni renier. En d’autres cercles, on appelle cela le droit de tendance.

Certes, je reste à la fois admiratif et incrédule, voire abasourdi, devant certaines thèses que je trouve purement théoriques, comme par exemple la théorie du père jésuite Karl Rahner qui est censée expliquer le mystère de la trinité (pp. 286-287). En la lisant, j’ai l’impression de me trouver face à une construction totalement abstraite, sans la moindre connexion avec la réalité physique, aussi artificielle que les théories que l’on retrouve, par exemple, dans Le marteau des sorcières d’Henry Institoris et Jacques Sprenger[5] ou le Manuel des inquisiteurs de Nicolas Eymerich et Francisco Pena[6], pour établir qu’il est incontestable que les sorcières volaient sur des balais.

Mais c’est le mystère de la foi. Et d’ailleurs, de ces théories, n’y en a-t-il pas toujours eu dans toutes les religions, dans toutes les métaphysiques, dans toutes les philosophies, dans toutes les sciences, dans tous les discours politiques ? Même La critique de la raison pure se finit par l’une d’elle…

L’important n’est donc pas là. Un des génies de cet ouvrage est qu’il est parcouru par deux écritures. En alternance avec l’exposé de son credo, Réginald de Béco illustre les principes qu’il en dégage d’expériences qu’il a tirées de sa pratique professionnelle d’avocat pénaliste. Ces passages ne sont pas les plus nombreux mais sans doute sont-ils les plus denses. Parce qu’ils démontrent comment, à partir d’une foi, on peut construire une vie de générosité et d’ouverture, de tolérance et d’amour.

En le lisant, j’ai souvent pensé à la Pauline d’Éric Causin, persuadée qu’au cœur des conflits les plus atroces il faut que des hommes et des femmes aient le courage de poser des actes de bienveillance avec l’ennemi, faute de quoi la réconciliation sera impossible[7]. Ou à ce soldat de Roger Waters, « from the other side, a man of soul and pride », qui va donner à boire et consoler l’enfant qui pleure dans les bras d’une vielle babouchka devant les restes fumants de sa ferme incendiée[8].

Parce que l’important, d’où que viennent nos croyances et nos convictions, c’est de construire un monde meilleur pour ceux qui viendront après nous, pour ceux que nous aimons.

Face au mal, Dieu ne peut compter que sur chacun d’entre nous, là où nous sommes, dans nos vies familiales, sociales et professionnelles. Que faire face au mal ? Nous pouvons aider l’homme à se défaire de ses démons, à force d’écoute, de compassion et d’accompagnement.

Luttons.

Patrick Henry,
Ancien Président

 

[1] Homélie du 9 mars 2015 à la paroisse romaine de la Mère-du-Rédempteur, citée par R. de Beco, p. 387.
[2] F. Hardy, « Zéro partout », sur l’album Le danger, 1996.
[3] S. Tesson, La panthère des neiges, Gallimard, 2019, p 55.
[4] Voyez spécialement, pp. 35, 103, 276 et (mais là vous allez dire que je me vante un peu…) 330.
[5] H. Institoris et J. Sprenger, Le marteau des sorcières, Strasbourg, 1486.
[6] N. Eymerich, Le manuel des inquisiteurs, Venise, 1376, mis à jour et complété par F. Pena, Lisbonne, 1578.
[7] E. Causin, Etincelles, Bruxelles, 2019, que j’ai recensé dans cette chronique.
[8] R. Waters, « Each small candle », sur l’album In the flesh, 2000.

 


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