L’indépendance de l’avocat

Libres propos après l’arrêt de la Grande Chambre du 4 février 2020 (C-515/17P et C-591-17P)

Le problème de base est classique. Une université bénéficie d’un programme pour des actions de recherches.

Il s’avère, lors du contrôle du financement que ledit chercheur percevait des rémunérations d’autres activités et le programme de recherches est rompu. L’université concernée est l’Université de Wroclaw.

Elle entend contester la décision par laquelle la clause pénale prévue par la convention de subvention lui est réclamée.

Devant le Tribunal, cette Université est défendue par un conseil juridique, par ailleurs lié par un contrat de services à la même université.

La question était de savoir si, dès lors, un risque de voir son opinion professionnelle pour reprendre les termes du Tribunal, être influencé par son environnement existait et, dès lors, le Tribunal avait considéré que la requête signée par ledit représentant rendait le recours manifestement irrecevable en application de l’article 51 § 1 du règlement de procédure.

Nous n’allons pas ici développer les termes du règlement du Tribunal mais simplement observer que le pourvoi qui a été introduit contre les décisions a favorablement abouti devant la Cour.

La Cour va considérer que, sur le fond, la représentation d’une partie qui ne bénéficie pas d’un régime privilégié et qui, donc, doit avoir recours à un avocat, doit s’interpréter notamment lorsqu’il s’agit de savoir si la personne est Avocat, conformément au règlement national de chaque Etat.

Pour ce qui est de l’Avocat, la Cour rappelle que l’interprétation de cette notion doit se faire de manière autonome dans toute l’Union.

Dans les recours directs, il convient donc bien que ce soit un avocat.

Mais est-il pour autant indépendant ?

Pour le Tribunal, le devoir d’indépendance de l’Avocat s’entend comme l’absence non pas de tout lien quelconque avec son client mais de liens qui portent manifestement atteinte à sa capacité d’assurer sa mission de défense en servant au mieux les intérêts de son client.

La Cour avait notamment considéré, dans une affaire précédente, que n’était pas suffisamment indépendant de la personne morale qu’il représente l’avocat investi de compétences administratives et financières importantes au sein de cette personne morale… (ordonnance du 29/09/10) ou encore l’Avocat qui possède des actions de la société qu’il représente (04/12/2014) et préside le Conseil d’administration.

Dans le cas d’espèce, il s’agit simplement d’un chargé d’enseignement et la Cour va considérer que le lien est insuffisant pour permettre de considérer qu’il est dans une situation portant manifestement atteinte à sa capacité à défendre au mieux les intérêts de son client et, dès lors, le pourvoi va triompher.

Que retenir de cet arrêt ?

a. En synthèse, les professeurs de droit, qui exercent par ailleurs la profession d’Avocat au sein d’une Université, sont manifestement concernés.

De manière générale, ils peuvent donc plaider pour cette université. Ce qui vaut pour l’Europe vaut pour le Droit National.

Qu’en est-il toutefois s’il exerce la fonction de Doyen ?

N’a-t-il pas, dès lors, un pouvoir plus important qui fait que son indépendance à l’égard d’une Université est différente ?

Tout est question de mesure.

b. Le rappel de la situation de l’Avocat qui possède les actions de la société et qui préside le Conseil d’administration est clair.

Les conditions sont cumulatives.

L’Avocat ne peut intervenir.

Nous aurions même tendance à croire que sa présence au sein de l’organe d’administration est un facteur qui altère son indépendance.

c. Par contre, pour le membre d’une ASBL l’indépendance semble acquise.

d. Tout est question de mesure et, à juste titre, toute la question qui se pose est de savoir si l’avocat ainsi consulté peut dire non à son client, c’est-à-dire estimer que la thèse qui lui est demandée de défendre, ne peut valablement triompher.

Cette question est récurrente dans le métier d’avocat.

Certes, elle est parfois minée par des contraintes économiques mais nous ne pouvons pas à la fois réclamer le statut que nous souhaitons sans se poser cette question.

Il y aura certes toujours, dans des contentieux récurrents, des dossiers qui apparaîtront à l’avocat comme moins convaincants et, dès lors, il sera sans doute amené à défendre la thèse quand il s’agit d’un client habituel.

Il ne faut pas non plus pécher par excès d’orthodoxie mais, néanmoins, le Tribunal qui s’était montré particulièrement draconien est ici ramené à juste raison par la Cour.

La lecture de l’arrêt permettra aux avocats, sans doute, de chaque fois réévaluer le degré d’indépendance qui est le leur.

 

Eric Balate, 
Avocat au barreau de Mons et chef de délégation au C.C.B.E.

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