Les ombres du palais, par Lise Bonvent,
Bruxelles, Larcier, 2019, 184 p., 30 €.
Je ne suis pas toujours en accord avec les décisions prises par la justice. Elle me semble parfois ressembler aux grands-parents qui n’ont pas réalisé combien le monde a changé. Très gentils, très doux, pleins de bonnes intentions, mais leurs idées sont d’un autre temps.
La justice devrait trouver de vraies solutions et non pas remettre les problèmes à plus tard. Je ne comprends pas toujours comment elle fonctionne … Je ne comprends pas non plus pourquoi la prison est encore une peine. Des personnes qui ont toutes eu, à un moment donné, une mauvaise idée vont s’y retrouver. Du positif ne peut sortir d’un tel lieu. Il faudrait imaginer des réponses adaptées à chacun et éviter que celui qui a le plus de moyens s’en sorte le mieux.
Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?
Ces paroles sont celles de la fille d’une magistrate, âgée de 16 ans. Est-elle la fille de Lise Bonvent ? Peut-être. Je ne connais pas Lise Bonvent. Mais peu importe.
Ce qui importe c’est ce qu’elle dit. Et, à mes yeux, le fait qu’elle soit encore une enfant a peu d’importance. Imaginerions-nous que l’on disqualifie la parole de Greta Thunberg, Anuna De Wever ou Amandine Charlier parce qu’elles sont encore des ados ?
Si, quand même, il est parfois bon de savoir d’où vient une parole. Pour qu’elle prenne tout son sens. Et, ici comme là, l’origine renforce indiscutablement le propos, n’en déplaise à ceux qui sont engoncés dans leurs propres certitudes, qui croient que tout sera toujours comme avant, que les mauvaises recettes d’hier peuvent faire fortune demain, qu’à force de buter sur une fenêtre fermée une mouche finira par la transpercer.
La justice devrait comprendre qu’elle doit avancer avec tous. Je ne pense pas avoir une vision et qu’elle soit la bonne. Il faut juste cumuler la mienne avec beaucoup d’autres et, ensemble, nous pourrions arriver à quelque chose d’autre, sans doute de très différent de ce que je pense. Mais, il faut que cela change.
Cumuler une vision avec celle des autres. C’est le projet de Lise Bonvent, magistrate, déjà auteur de plusieurs ouvrages, qui a interrogé une série d’acteurs du palais de justice de Bruxelles : quelques magistrats et avocats, un peu atypiques de préférence, bien sûr. Mais aussi des sans-grades : greffier, huissier d’audiences, cuisinier, femme d’ouvrage, vestiairiste, secrétaire, détenu, conjoint …
Un point commun les relie presque tous. Ils vouent une admiration certaine au palais de Poelaert, qui leur paraît symboliser la justice plus que tout autre (avec une notable exception quand même qui lui préfère le palais des Princes-évêques …) : grandeur, démesure, labyrinthe, sensation d’écrasement, envie de silence, respect.
C’est une autre approche de la justice. Salutaire. Par la base. En partant des Marolles. Pour rejoindre la coupole. Avec des découvertes étonnantes : une bibliothèque oubliée, une gentilhommière même … Dame justice est-elle enfermée là-bas, quelque part au fond d’un dédale inaccessible ?
Détenus, nous passons par des couloirs souterrains et le côté grandiose du palais nous échappe. Quand nous rentrons dans une salle d’audience, c’est immanquablement impressionnant. Le procès d’assises, dans cette salle particulière, a pris plus de sens qu’il ne l’aurait eu dans un building anonyme. La justice s’y impose. Elle dépasse les volontés individuelles. On la ressent physiquement.
Un monde à part. Celui des gens de loi. Nous. Avec ses codes, ses dissensions, ses jeux stériles. Mais aussi sa grandeur, sa communauté, ses valeurs.
Tout cela est-il voué à la disparition ?
Il est vrai qu’une certaine dose de nostalgie sourde de cet ouvrage. Un peu comme lorsque l’on lit du Stéphane Zweig. Les magnifiques photos de Marie-Françoise Plissart, qui illustrent chacun des témoignages recueillis, renforcent encore cette impression.
Témoignage d’un monde perdu ?
Je ne peux pas envisager d’arrêter le métier d’avocat, il demeure des causes dont j’aime me saisir. Je viens d’être sollicité par plusieurs associations pour attaquer le règlement d’une ville qui prétend punir les mendiants récidivistes. J’ai été heureux d’avoir été choisi : cela me parait tellement énorme tant sur le plan social que juridique. Renoncer à des dossiers comme celui-là me paraît impossible …
Non, quelque chose a survécu.
Patrick Henry,
Ancien Président
Photo © Larcier