J'ai essayé JustRestart - Lettre à un médiateur de dettes

Cher Confrère médiateur de dettes,

J’ai bien reçu votre courriel disant que “l’utilisation du Registre JustRestart est recommandée en vue d’assurer un traitement plus rapide et plus sécurisé” (je gloussais déjà !) et l’ai lu jusqu’au bout mais … je ne jurerais pas que chacun de ses (multiples) destinataires en aura fait autant. Quoi ? Un courrier kilométrique ?! Pour des banques, des fournisseurs d’énergie, des administrations, des avocats ? 

Ambitionnez-vous qu’ils soient seulement arrivés jusqu’à votre reproduction de l’illisible article 1675/15bis, §1er, du code judiciaire ? Je sais que son insertion systématique est obligatoire pour vous mais … sa lecture ne l’est pour personne.

Quand je pose 3 questions à un confrère, il ne répond souvent qu’à la première : il n’est pas allé plus loin. “Pas le temps !”. Paraître débordé semble être un label.

Quand j’adresse une consultation de plus d’une page à un client, il me téléphone pour que je la lui résume. “Trop occupé !”. Paraître débordé … (ah, je l’ai déjà dit ?).

J’ai récemment écrit à un de ces parangons de la concision supposément ‘efficace’ : « Toi, pas licencier la madame ! Ça, coûter TRÈS CHER ». À mon grand désappointement, il a très bien compris ; surtout les majuscules … Il m’a quand même demandé “Pourquoi ?” ; j’ai répondu « Toi pas pouvoir comprendre ». Il a changé d’avocat, a lourdé l’employée et a craché au bassinet : je ne le regrette pas.

Par ailleurs, de nombreux courriels sont affublés d’indigestes et pompeuses communications finales sur la confidentialité, l’interdiction de reproduction et gnagnagna (parfois en plusieurs langues, ça fait Lawyer international).

Des choses pareilles, personne ne les lit, en sorte qu’il ne me paraît pas extravagant de penser qu’un certain nombre de vos lecteurs auront zappé votre P.S. (en caractères microscopiques…) qui me semble pourtant important : si on ne répond pas à votre envoi, vous allez devoir l’expédier par recommandé ! 

Si vous voulez vous éviter pareille paperasse, n’auriez-vous pas intérêt à renvoyer ce post-scriptum à vos multiples destinataires (qui pourraient ainsi faire faire des économies à la médiation – càd, en définitive, à la personne qui se trouve déjà en difficultés financières, le médié) ?

Pour le surplus, par pure curiosité (et pour vous être agréable !), j’ai accédé au site “JustRestart”.

Je ne m’étends pas sur l’incongruité habituelle (souvent anglophile) qui consiste à utiliser des appellations saugrenues (REGSOL, par exemple, ça fait produit de nettoyage, non ? ET LGBOX, ça fait … Non, ça ne fait rien du tout), mais me permets tout de même de constater que, si la justice et nos propres caciques ont de louables velléités d’informatisation, ils ont encore de nombreux progrès à faire dans la simplicité de leurs “outils”.

On y propose tout d’abord de soit s’identifier, soit créer un compte. Pour ne pas me créer un compte (de plus), je propose de (simplement) m’identifier (ils appellent ça : “Se connecter avec e-mail”) : je mentionne mon adresse mail et le mot de passe… lié à cette adresse.

Essuyant un refus, je tente d’introduire comme mot de passe le code que vous m’avez communiqué. Rebelote.

Ce n’est qu’à ce moment que je constate qu’après avoir prétendu qu’on pouvait “se connecter avec e-mail”, il est spécifié (plus bas) : « Pour vous connecter, vous avez besoin d’un compte ». Bien la peine de dire qu’on pouvait seulement s’identifier !

Sottement opiniâtre, je me résous à créer un compte.

Il m’est demandé de préciser la Nature du déposant. Qu’est-ce que le mot nature vient faire là et en quoi serais-je déposant ?!

Je concède néanmoins de révéler que je suis une personne physique belge avec numéro d’entreprise et on me demande, comme de juste, ce numéro d’entreprise. Soit, j’obtempère.

Après avoir encore mentionné des coordonnées personnelles (le néerlandais étant la langue privilégiée par défaut alors que tout le formulaire est en français…), je suis de nouveau confronté à une demande de mot de passe (que Google capte puisqu’il me demande immédiatement s’il doit l’enregistrer – bonjour la confidentialité “sécurisée” !) et, quand j’insère l’un (celui qui est lié à mon adresse mail) ou l’autre (le code que vous m’avez donné), il m’est répondu :

Le mot de passe doit comporter au moins une majuscule, une minuscule, un chiffre et un caractère spécial (@#’!-_$*%+&) !

J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une ponctuation d’injures du capitaine Haddock, mais j’ai (enfin ! me direz-vous) compris que je devais inventer sur l’heure (et retenir ad vitam) un ixième mot de passe, spécifique pour Regsol alias JustRestart. On aurait sans doute dû me le dire plus tôt mais, qu’à cela ne tienne – agacé autant qu’entêté –, je m’exécute. Ce n’est pas demain qu’un bidule informatique aura raison de ma ténacité !

L’idiot d’en face m’invite à renvoyer mon lien d’activation (mon quoi ?) à cette adresse e-mail (laquelle ?) et m’envoie un courriel amphigourique :

Cher utilisateur JustRestart, 
Vous devez encore confirmer votre adresse e-mail pour activer votre compte. (…) Si vous souhaitez recevoir un e-mail supplémentaire à ce sujet, vous devez le configurer dans votre profil d'utilisateur. 

Je devrais encore ‘configurer’ quelque chose (mais quoi ?) dans mon ‘profil’ d’utilisateur ?!

Je m’obstine et clique sur le lien suggéré. Il me demande si j’ai confirmé mon adresse e-mail et me propose, dans l’affirmative, de cliquer sur Suivant pour poursuivre.

Je le fais et retombe sur la page de départ, celle qui me suggérait (bêtement) de me connecter avec e-mail et qui me redit que, pour me connecter, j’ai ‘besoin’ d’un compte.

J’en ai un, à présent, … normalement.

Je mentionne donc (une ixième fois) mon adresse mail et reproduis mon tout frais émoulu mot de passe, ce qui provoque la réponse suivante (prière de vous munir d’un décodeur) :

Pour des raisons de sécurité, certaines fonctions exigent une authentification renforcée.
Vous n'avez pas encore effectué la lecture de votre numéro de registre national ou du numéro de votre carte d’avocat ? Cliquez ici (…).
Déconnectez par après et accédez à nouveau avec votre numéro de registre national ou le numéro de votre carte d'avocat. (…) Vous ne pouvez pas accéder avec une authentificaton
(sic) renforcée parce que vous n'avez pas une eID belge, mais vous voulez effectuer une action qui exige une authentification renforcée ? Contactez un avocat belge ou un autre mandataire belge.

De ma vie, je n’ai jamais eu la moindre envie “d’effectuer la lecture” de quoi que ce soit, ni de “déconnecter par après”, pas plus que “d’accéder” sans qu’il soit précisé à quoi, et encore moins “avec une authentificaton (re-sic) renforcée” !

Renonçant à décrypter cet invraisemblable charabia, je clique au hasard sur Continuer.

On me demande alors si j’ai reçu une lettre avec un code et, comme c’est le cas (votre lettre m’informant de mon code), je me sens près du but et clique fièrement sur Liez votre dossier à votre compte ici

La page suivante me demande d’entrer un code d’invitation (?). Je mentionne celui que vous m’avez fourni et on me répond qu’un problème est survenu lors de la notification de l’invitation avec le code en question. 

Je tente de contacter mon cardiologue mais je tombe, là aussi, sur un robot imbécile dont l’unique utilité doit être de me décourager. C’est devenu d’une grande banalité… Je raccroche, allume une 3e sèche, fais sortir le chien et, un peu calmé, réintègre mon bureau (je parle de la pièce, pas de l’écran – m’énerve !).

Je reviens en arrière et clique – de nouveau à tout hasard – sur Mon/mes dossier(s).

Miracle : pour la première fois, le nom de votre médié apparaît ! Ça fait sûrement plus d’une heure que je suis entré dans ce labyrinthe mais, tel Icare, j’ai la gratifiante sensation d’avoir réussi à mystifier le Minotaure.

Las ! Je pensais avoir accédé au Graal, mais les seules informations que contienne cette page, quelle que soit la case qu’on coche, c’est qu’un jugement d’admission a été rendu, qui a nommé un médiateur de dettes.

Nous voilà gras ! 

Je croyais découvrir l’état actuel de cette procédure de médiation, à quelle sauce allait être mangé mon ancien client, et même… pourquoi vous m’aviez écrit dans ce cadre (je ne me suis PAS déclaré créancier de mon client, déjà exsangue, nonobstant l’ardoise impayée qu’il m’a, en effet, laissée). 

Pourriez-vous par conséquent m’éclairer (puisque le site auquel vous nous recommandez vivement de nous connecter ne contient a priori aucune information sur quelque élément que ce soit) ?

Je vous souhaite en tout cas bien du plaisir avec cette miraculeuse plate-forme (qui a provoqué la prise de pension légèrement anticipée d’un ami avocat, curateur de longue date, qui me confiait : « Il n’est pas question que je me laisse pourrir la vie plus longtemps par les multi-formalités chronophages que voudrait m’imposer un système informatique totalement boiteux »).

Au moins suis-je éclairé, aujourd’hui, sur UNE chose : la pertinence de son propos.

PS : Ôtez-moi d’un double doute :

  • JUSTRESTART, c’est bien ce bazar que les 5 cours du travail du pays ont décidé récemment, dans une belle unanimité nationale, d’écarter radicalement pour cause d’inefficacité, mais que la loi vous impose de vanter avec force courriels et recommandés qui appauvrissent les plus pauvres (et rendent chèvres les utilisateurs) ?
  • REGSOL, c’est bien le truc annoncé en avril 2017 comme révolutionnaire et “permettant un gain de temps considérable” sur l’air du “quoiqu’il en coûte” d’un président voisin ? Celui dont le ministre de la Justice de l’époque (de sinistre mémoire, mais les suivants furent-ils meilleurs ? Yèrk…) ne craignait pas de dire – après l’avoir harnaché de nouvelles redevances taxatoires, comme de juste – qu’il avait été conçu “dans l’intérêt des avocats qui traitent les dossiers mais également dans celui des citoyens, qui ont droit à une justice plus rapide” ?

Quand je pense que j’ai entrepris, hier encore, de contredire mon boucher ânonnant « Elle est belle, votre justice » !

Re-PS – cette fois, à l’attention des orfraies qui vont me vouer aux gémonies sur l’air de : « Quand on pense au temps et à l’argent qu’on a consacrés à cette informatisation, ce sont vraiment des perles pour les cochons ! » : Parlez donc aux 43 victimes du viaduc de Gênes, mortes le 14 août 2018 lors de son effondrement, du temps et de l’argent qui avaient été investis dans sa construction... Mon objection n’est pas plus simpliste que votre auto légitimation : une posture vertueuse et volontaire ne suffit pas, loin s’en faut, à l’obtention d’un brevet d’efficacité.

Bien confraternellement,

Jari Lambert,
Avocat au barreau de Liège


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