L’antisémitisme, la guerre, l’extermination n’avaient fait que renforcer l’attachement de ma mère à sa judéité, elle était plus juive que jamais. Hitler avait décrété qu’Auschwitz serait notre terre promise : renier le judaïsme eût été parachever le projet nazi. Par un de ces paradoxes dont les enfants ont le secret, à force de m’entendre dire que j’étais un survivant, j’en étais arrivé à me croire immortel, immortel parce que juif.
Comment se construit un enfant pendant une guerre ? Pendant une guerre où les siens sont traqués pour être exterminés ? Une guerre qui force ses parents à la cacher, à le dissimuler dans un internat dans lequel les siens sont taxés de déicides ? Où, bien sûr, il voudrait être comme les autres, c’est-à-dire pas comme les siens ?
Guy Haarscher[1] et Paul Martens[2] ont déjà écrit tout le bien qu’il fallait penser de cette autobiographie posthume de Foulek Ringelheim, de son style, épuré mais élégant et imagé, de ce qu’il y a d'universel dans l’enfance et l’adolescence de cette petite boule de juif.
Car, on l’a compris dès que l’on a entendu le titre de cet ouvrage, la judéité est à la fois une identité et un poids, une fierté et une peur, une revendication et une névrose, un combat et une obsession.
Pas plus qu’on n’oublie son premier baiser, on n’oublie pas sa première gifle. Je savais pourquoi sœur Marie-Camille ne m’aimait pas : je ne faisais pas partie de la famille, j’étais un petit Juif. Elle m’avait juiflé, l’ignoble.
Foulek nous raconte donc cette enfance tourmentée et ballottée, de Saint-Gilles à Bertrix, de Bertrix à Liège, avec, toujours, une partie de son esprit à Birkenau, d’où son père ne revint jamais.
Peut-on être athée et juif, sioniste et opposant au régime en place en Israël ? C’est une question à laquelle il nous est difficile de répondre, car nous avons rarement les clés pour la comprendre. Le judaïsme est si proche et pourtant si éloigné du catholicisme. Le terme religion, de religare (ou religere ? relier ou réélire ?) est finalement très polysémique. Mais, en lisant ce livre, nous saisissons tellement mieux ce qui nous distingue.
Philipp Roth, Jean-Paul Sartre (dont la lecture des Réflexions sur la question juive lui évita le divan, confesse-t-il) et Milan Kundera sont en exergue de ce bel ouvrage. « Il n’est de juif authentique que névrosé, dérangé, anormal », dit le premier. C’est à la fois faux et vrai. Mais comment ne pas le comprendre ?
Le petit garçon, ou le jeune ado, que l’on découvre, tout raide, mais avec un sourire hésitant, sur la photo qui figure en couverture, a eu un parcours édifiant, qui prépara une vie faite d’engagements.
Ma judéité a toujours eu partie liée avec l’antisémitisme. Dans ma prime enfance, je baignais dans la chaleur juive du foyer, aucune ombre venue de l’extérieur ne venait troubler ma béatitude. Quand vinrent les ordonnances antijuives, je vis la peur dans les yeux de mes parents et compris qu’être juif n’était pas de tout repos. Le narrateur de La recherche du temps perdu s’est longtemps couché de bonne heure, moi, je me suis caché de bonne heure…
Mais l’important est qu’il soit sorti de sa cachette. Fort et résilient. Un bel exemple.
Patrick Henry,
Ancien Président