Aux yeux de Pauline, portant l’idéal de son âge, on a surtout besoin de personnes qui continuent à tendre la main, qui préparent la paix après la guerre. Il n’y aura pas de paix possible si la haine a pris le dessus. La paix n’est pas la guerre désarmée, la paix est la reconnaissance de la fraternité. Reconnaissance qui repose sur une disposition intérieure, un regard nourri par l’amour, par l’amour sentimental, plutôt l’expérience de notre commune humanité. Il faut dès lors qu’au cœur même du conflit, des hommes et des femmes continuent à poser des actes de bienveillance envers les ennemis. Telle est la raison de son départ et de son engagement comme secouriste, sans distinction de camp.
Elle a raison, Pauline. Mais elle choisit une voie difficile, celle du courage, de la volonté, de l’ouverture. Sa route croisera celles de bien d’autres, qui n’ont pas nécessairement ses belles qualités mais qui sont plus conformistes, plus sûres d’avoir raison, de connaître le bien, de savoir ce qui est bon pour elle.
Notre confrère bruxellois Eric Causin nous livre un beau premier roman, entremêlant les destinées de Pauline, de Jean Bé, le fils qu’on lui a arraché, de Mark, un médecin juif allemand dont elle s’est amourachée pendant la guerre, qui l’a soignée et puis qu’elle a secouru, et des familles qui gravitent autour d’eux. Nous les suivons du début de la der des der à la fin de la suivante qui, il faut le craindre, n’est probablement pas non plus la dernière.
Cela fait beaucoup de drames. Et ils sont causés par des hommes et des femmes de tous les camps (bon, reconnaissons-le, surtout des chrétiens quand même …).
Pendant ses pérégrinations à la recherche de Mark, qui pourrait donc être son père, Jean rencontre des juifs allemands réfugiés sur la Côte d’Azur :
« Dans Isaïe XIX, il est écrit que le jour de la rédemption, Israël, l’Egypte et l’Assyrie seront associés sous la bénédiction de Yahvé. La vocation du peuple juif n’est donc pas de fonder une nation, notre vocation est de semer la paix de Dieu sur toute la Terre. » Un autre ajoute : « Les Juifs allemands qui partent fonder une nation en Palestine, risquent bien, fût-ce à leur insu, d’y reproduire le colonialisme dont l’Allemagne s’est rendue coupable au début de ce siècle à l’encontre des Hereros et des Namas, en Afrique du Sud-Ouest. » Il ne fait pas l’unanimité …
Mais peut-être avait-il raison ?
Mark, le psychologue, se construit, pour sonder les êtres, quelques triades combinables de traits de caractères : naïf – clairvoyant – intelligent ; positif – bienheureux – négatif ; ouverture – mixité – fermeture (c’est la triade culturelle) ; altruisme – bienveillance – égocentrisme (triade morale) ; faible – normale – forte (triade de l’énergie ou de la volonté). Mais sur combien d’intelligent – positif – ouvert – altruiste (ou, au moins bienveillant) – fort pouvons-nous compter ?
Pauline nous livre en tout cas un beau message.
Mon petit Jean,
Chaque jour, je t’ai dédié mon travail, tu étais le centre de toutes mes prières, et tout ce que je décidais devait être assez grand pour toi. J’ai toujours cru qu’on peut aimer, nourrir et faire grandir sans être tenu par les limites de l’espace et du temps, que la graine semée ici peut se transporter et féconder à l’autre bout de la terre et des âges. C’est pourquoi, même morte, je suis encore là et je continue de t’aimer. Je voulais que tu le saches.
Maman.
Patrick Henry
Ancien Président