Dans les coulisses du parlement belge – note du 9 décembre 2019

I. Recouvrement amiable des dettes du consommateur

1. Texte

2. Développements

Lors de sa réunion du 4 décembre 2019, la commission de l’économie a adopté la proposition de loi portant des dispositions diverses relatives au paiement de la facture et modifiant la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur.

AVOCATS.BE avait rendu un avis par rapport à la proposition déposée.

Le texte adopté est cependant beaucoup plus large que la proposition initiale suite à l’adoption d’un amendement global synthétisant plusieurs initiatives parlementaires relatives au paiement de la facture par le consommateur et à la procédure de recouvrement amiable des dettes du consommateur.

Le texte entend protéger les consommateurs, notamment en plafonnant les frais et en imposant aux entreprises d’accorder des délais de paiement relativement longs :  délai de 7 jours pour l’envoi de la facture à partir de la date de celle-ci (art. 7 (nouveau)) ; délai de 20 jours à dater de cette limite d’expédition pour le paiement (art. 6 (nouveau) § 1er) à l’issue duquel peut-être envoyé un premier rappel de paiement gratuit (art. 8 (nouveau) §§ 1er et 2) ; nouveau délai de 10 jours pour le paiement (art. 8 (nouveau) § 4) .

Le texte adopté est inscrit à l’ordre du jour de la séance plénière du jeudi 19 décembre 2019 et soulève une levée de boucliers.

La F.E.B, estime que la proposition manque son objectif et pourrait même, potentiellement, accroître l'endettement..

Dans un communiqué de presse du 4 décembre 2019, l’O.V.B. avait déjà dénoncé le travail expéditif de la commission de l’économie, qui va, selon lui, avoir des effets dévastateurs pour les entreprises en ce compris les avocats.

AVOCATS.BE a relayé ces préoccupations en envoyant un second avis aux chefs de groupe en vue de l’examen du texte par la séance plénière de la Chambre. Outre les effets pervers que risque d’engendrer la loi, AVOCATS.BE s’inquiète de l’assimilation des avocats aux entreprises de recouvrement de dettes et alors qu’aucune plainte n’est formulée à leur encontre.

La proposition de loi rend en effet applicables aux avocats les articles 9 à 13 de la loi du 20 décembre 2002 relatif au recouvrement amiable des dettes du consommateur. Les avocats n’y étaient jusqu’ici pas soumis. Ces articles ont trait à l’action en cessation et à la recherche et à la constatation des actes interdits. En aucun cas, les avocats ne peuvent être assimilés à des entreprises de recouvrement. Cette assimilation est d’autant plus incompréhensible qu’à aucun moment, lors des travaux parlementaires, le travail des avocats n’a été mis en cause.

AVOCATS.BE a demandé que l’examen de la proposition de loi par la séance plénière soit reporté afin que des amendements puissent être déposés.

II.  Secret professionnel - DAC 6 – Echange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal

1. Texte

  • Projet de loi transposant la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration, DOC 55 791/001 (549 pages).
  • Texte adopté DOC 55 791/004

2. Développement

Un projet de loi a été déposé à la Chambre en vue de la transposition de la directive (UE) 2018/822 dite « Directive DAC 6 ». La directive devant être transposée pour le 31 décembre 2019, le projet a bénéficié d’un traitement d’urgence. Il a été adopté en commission des finances le 3 décembre 2019 et par la séance plénière de la Chambre le 12 décembre 2019.

La directive prévoit un mécanisme de déclaration des dispositifs fiscaux internationaux dits « agressifs » par les intermédiaires, ceux-ci étant définis comme les personnes qui conçoivent, commercialisent ou organisent un tel dispositif, mettent un tel dispositif à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou en gèrent la mise en œuvre.

Il s’agit donc de dénoncer des constructions parfaitement légales à l’administration fiscale.

La même directive prévoit la possibilité pour les Etats Membres de dispenser les intermédiaires lorsque « l’obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national dudit Etat Membre ».

AVOCATS.BE et l’OVB ont rencontré l’administration fiscale et le cabinet « Finances » à plusieurs reprises, en leur demandant de faire usage de la possibilité de dispense laissée par la directive et de transposer celle-ci dans le respect du secret professionnel de l’avocat tel que défini dans la législation et la jurisprudence relatives au blanchiment de capitaux.

Le texte adopté semble avoir tenu compte de certaines des demandes des Ordres.

Un avis sera toutefois demandé à un avocat spécialisé afin d’examiner quelles sont les conséquences pratiques de la nouvelle législation pour les avocats et voir dans quel mesure un recours doit être envisagé.

III. Bracelet anti-rapprochement

1. Textes

  • Proposition de loi cdH visant à protéger les victimes de violences intrafamiliales ou conjugales par le port d’un bracelet anti-rapprochement, DOC 55 0682/001.
  • Avis d'AVOCATS.BE

 2. Développements

A la demande de la commission de la justice de la Chambre, Alice Lecomte, avocate au barreau de Namur et membre de la commission de droit pénal d’AVOCATS.BE a rédigé un avis écrit concernant la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences intrafamiliales ou conjugales par le port d’un bracelet anti-rapprochement.

Ce système de bracelet est utilisé depuis quelques années en Espagne, un pays qui a vu son taux de violences domestiques et de féminicides diminuer de manière importante.

Pratiquement, il s'agit d'un bracelet électronique permettant de géolocaliser la personne violente et d'un boîtier dont est munie la victime. Le bracelet anti-rapprochement permet à cette dernière d'être informée si la personne éloignée s'approche trop près d’elle. En effet, si celle-ci pénètre dans une "zone interdite", une alarme se déclenche automatiquement et permet l'intervention des forces de l'ordre.

Dans son avis, AVOCATS.BE s’est réjoui que la commission de la justice s’empare de la problématique. Toutefois, la proposition de loi n’est pas satisfaisante en l’état, notamment parce que son champ d’application est très limité. 

Lors de sa séance du 4 décembre 2019, la commission de la justice, se référant aux avis des experts et notamment à celui d’AVOCATS.BE, a considéré que la proposition de loi n’était pas mûre pour être adoptée.

Les auteurs du texte vont se réunir hors contexte de commission, éventuellement organiser des auditions et retravailler le texte qui sera ensuite refixé en commission.

IV. Revenge porn

1. Textes

2. Développements

A la demande de la commission de la justice de la Chambre, Alice Lecomte, avocate au barreau de Namur et Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles, tous deux membres de la commission de droit pénal d’AVOCATS.BE ont rédigé un avis écrit concernant la proposition de loi modifiant le Code pénal, visant à combattre le "revenge porn", c’est-à-dire la diffusion publique, avec une intention méchante et/ou de vengeance, notamment via les réseaux sociaux, de contenus sexuellement explicites sans le consentement de la personne ou des personnes qui y apparai(ssen)t.

A nouveau, la proposition de loi part d’une bonne intention. Néanmoins, AVOCATS.BE ne pense pas que la modification du Code pénal proposée soit utile et permette une meilleure protection des victimes. La solution ne réside pas dans une législation pénale, mais bien dans une plus grande réactivité du ministère public.

Selon l’expérience des avocats, les réactions sont en effet quasi inexistantes dans le chef du ministère public, ou à tout le moins tardives. Les auteurs sont entendus parfois des mois après les faits. AVOCATS.BE demande qu’une circulaire spécifique soit adoptée par le ministre de la justice, en concertation avec le collège des procureurs généraux et que l’intervention auprès des services de police soit prioritaire dans ces situations.

V. Aide juridique – questions parlementaires

Le ministre de la justice a été interrogé en séance plénière de la chambre le 28 novembre 2019 au sujet de l’aide juridique par le député PS Khalil Aouasti (par ailleurs avocat au barreau de Bruxelles) :

« (…) La Justice devient inaccessible pour de nombreux concitoyens. Quel est votre bilan de la législature écoulée? Les avocats assurant l'aide juridique peuvent-ils assurer un accès égal à la Justice pour tous? Quel est le sens des discussions sur le point quand l'enveloppe est insuffisante?”

Koen Geens a répondu qu’il manquait de temps pour dresser le bilan, “mais il est positif. Vous pouvez lire mes quatre rapports sur internet. Nous avons développé la nouvelle nomenclature en large consensus avec les Ordres des avocats. D'ailleurs, à l'article du Soir évoquant une prétendue panique au sein de l'Ordre des avocats, ce dernier a répondu qu'il s'agissait de fake news.

J'ai toujours garanti une valeur du point de 75 euros.

Vous prêchez un convaincu : j'ai défendu l'augmentation du budget dans le programme électoral et je continue à le faire. L'État doit financer davantage l'aide juridique ; je l'ai dit en commission lors du dépôt de la proposition de loi d'Ecolo-Groen”.

Rebondissant sur cette question, le député PVDA-PTB Nabil Boukili a à nouveau interpellé le ministre de la justice en commission de la justice le 4 décembre 2019.

Nabil Boukili (PVDA-PTB): « ces dernières années, diverses mesures du gouvernement ont rendu l'accès à la justice plus coûteux, réduisant considérablement son accessibilité. Sur une période de cinq ans, l’impact de ces différentes mesures est considérable.

Depuis janvier 2014, la TVA doit être payée sur les services des avocats.

En 2016, l’instauration d’une contribution financière appelée ticket modérateur pour l’accès à l’aide juridique de deuxième ligne imposait le paiement de 20 euros par désignation d’avocat et de 30 euros par procédure.

Depuis 2016, la notion de revenus professionnels a été remplacée par celle de moyens d’existence. Il en découle que les revenus, mais aussi le capital et les autres ressources doivent être pris en compte pour déterminer si une personne a droit à l'assistance juridique gratuite. Cela induit que les revenus de toutes les personnes vivant sous un même toit sont pris en compte qu’elles soient pensionnées, en invalidité ou au chômage.

En 2017, le fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne a été créé, auquel le plaignant, dans le cadre d'un litige civil, doit contribuer à hauteur de 20 euros.

Depuis le 15 août 2018, la mise en place de l'informatisation de la justice oblige les avocats à s'acquitter de frais auprès du barreau à chaque fois qu'ils veulent transmettre numériquement leurs conclusions, actes de procédure et autres documents auprès des tribunaux, du parquet, ou les transmettre à leur greffier. Il faut compter 6 à 9 euros par dépôt électronique, facturés ensuite au justiciable.

Depuis le 1er février 2019, les droits de greffe, aussi appelés mise au rôle, qui constituent la taxe réclamée au justifiable qui introduit une action devant une juridiction, ont été réformés et augmentés, allant de 50 à 650 euros.

Monsieur le ministre, ce 28 novembre, vous affirmiez en séance plénière: "L'État doit financer davantage l'aide juridique." Cette affirmation peut surprendre au regard de ce qui a été fait précédemment.

Dès lors, comment expliquez-vous les différentes mesures prises lors de la législature écoulée, au regard de votre volonté d'assurer un accès égal à la justice à tous? Confirmez-vous que des personnes se trouvant sous le seuil de pauvreté n'ont pas accès à l'aide juridique de deuxième ligne, totalement gratuite?

Quels sont les chiffres? Combien de personnes cela représente-t-il? »

Réponse de Koen Geens : (…) Lors de la séance plénière du 28 novembre, je n'ai pas parlé d'assurer un accès égal de tous à la justice. Il n'est pas question d'accorder l'aide juridique à tous les citoyens. J'ai indiqué que l'État devait financer davantage l'aide juridique, notamment en vue de mieux garantir un accès à la justice pour ceux qui en ont besoin. Il est évident que ceux qui disposent de ressources leur permettant d'accéder à la justice par la voie traditionnelle ne doivent pas entrer en ligne de compte dans l'octroi de l'aide juridique. Quant à votre deuxième question, je ne peux pas vous confirmer le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté qui n'ont pas accès à l'aide juridique, car je ne dispose pas de chiffres officiels à ce sujet. L'augmentation des seuils d'accès à l'aide juridique relève, en toute hypothèse, du pouvoir discrétionnaire et de l'appréciation du législateur. À ce propos, je vous rappelle que deux propositions de loi[1] ayant pour but de relever les seuils d'aide juridique sont actuellement en discussion au sein de cette commission et attendent l'avis de la Cour des comptes.

Réponse de Nabil Boukili : « (…) Pour éclaircir mon propos, quand je parle de droit de tous à la justice, cela signifie que ceux qui n'ont pas de moyens suffisants, voire pas du tout, puissent disposer d'un droit d'accéder à la justice – lequel ne doit pas être réservé à ceux qui parviennent à la payer. Pour le reste, je vous remercie des précisions que vous avez apportées. Il n'empêche que nous sommes le dernier pays à faire peser la TVA sur les services des avocats et que, pour cette raison, leurs frais ne cessent d'augmenter. (…) S'agissant des propositions de loi, nous les soutiendrons évidemment en vue de rendre la justice accessible à tous ».

VI. Surpopulation carcérale et grève dans les prisons – question parlementaire

Koen Geens a été longuement interrogé (et son action largement critiquée) en séance plénière ce 12 décembre à ce sujet, par plusieurs parlementaires.

Georges Dallemagne (cdH) a d’ailleurs fait une allusion à nos jugements dans le dossier surpopulation : « (…) Votre gouvernement a été condamné pour la situation dans les prisons de Saint-Gilles et Forest, qui regroupent 850 détenus pour une capacité de 549 places. À partir du 7 mars 2020, vous encourez de lourdes astreintes, allant de 1 000 à 4 000 euros par jour. Cela pourrait coûter jusqu'à 20 millions d'euros par an (…)”.

Dans sa réponse, Koen Geens a détaillé certaines mesures mises en œuvre depuis qu’il est ministre pour réduire la surpopulation carcérale (davantage d’internements et de recours au bracelet électronique par exemple) mais estime que la solution du problème est de trouver un accord constructif sur une politique pénitentiaire correcte et sur le sens des peines, autant de thèmes actuellement débattus en commission justice.

VII. Les inégalités de genre au sein du monde judiciaire – question parlementaire

Koen Geens a été interrogé en commission justice ce 11 décembre par Sarah Schlitz (Ecolo-Groen) en ces mots : “Que met-on en place pour lutter contre l'arrêt prématuré des carrières des femmes, garantir l'égalité salariale et assurer la parité à tous les niveaux de l'appareil judiciaire? Quand sont prévues les prochaines radiographies des barreaux?”

AVOCATS.BE a été sollicité pour participer à la réponse donnée par le Ministre : “La magistrature se féminise. Pour 2018, en première instance, 56 % des magistrats professionnels du siège et 57 % du ministère public sont des femmes. Au niveau des cours, la moitié des conseillers sont des femmes et à la Cour de cassation 30 % des conseillers le sont également. La consolidation de cette tendance dans la plus haute juridiction n'est qu'une question de temps. Une femme vient d'être nommée première présidente de la Cour de cassation.

Les conditions de nomination sont objectives et égales pour tous. Les traitements sont fixés légalement, sans distinction entre genres.

Au niveau des barreaux francophones et germanophone, le pourcentage de femmes dépasse pour la première fois les 50 %. S'agissant d'une profession libérale, l'Ordre n'a aucune compétence pour imposer de règle en matière salariale. L'assemblée générale de l'OBFG a modifié son règlement pour que, lors de chaque vacance, les barreaux présentent au moins deux candidats de sexe différent.

L'Ordre des barreaux flamands et locaux évolue vers une plus large présence féminine dans les instances. En 2015, quatre bâtonniers sur dix étaient une femme alors qu'il n'y en avait pas en 2003. L'OVB veille à une non-discrimination dans les rapports hommes-femmes et à une représentation des différences”.

 

[1] Proposition de loi Ecolo Groens améliorant l'accès à l'aide juridique de deuxième ligne par l'augmentation des seuils financiers d'accessibilité. DOC 55 0175/001
Proposition de loi PS tendant à garantir par une disposition légale le droit à l'aide juridique de deuxième ligne et à faciliter l'accès à celle-ci en augmentant les seuils d'accès. DOC 55 0463/001

Laurence Evrard,
Responsable des actualités législatives

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