Procès du journal Cumhuriyet

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Pour ce numéro, Yves Oshinsky, ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles et président sortant de la Fédération des Barreaux d’Europe, a souhaité nous partager son rapport au sujet du procès de 17 journalistes et collaborateurs du principal journal d’opposition Cumhuriyet. N'hésitez pas à réagir !


C’est à l’invitation de l’International Press Institute (IPI), organisation mondiale créée en 1950, dont l’objectif est de promouvoir et de protéger la liberté de la presse, qu’au nom de la Fédération des Barreaux d’Europe (FBE), j’ai eu le privilège de participer à la mission d’observation de la dernière phase du procès mené à l’encontre de 17 responsables et journalistes du journal indépendant d’opposition Cumhuriyet, parmi lesquels son président et son rédacteur en chef.

Lors de la précédente audience, en mars 2018, le Procureur avait requis des peines de prison de 7 ans et demi à 15 ans, pour « aide à une organisation terroriste sans en être membre ».

Si les prévenus avaient fait l’objet d’arrestations et de longues périodes de détention, seul Akin Atalay, CEO du journal, restait encore en prison et ce, depuis plus de 500 jours.

Les audiences, fixées à Silivri, palais de justice jouxtant la prison, situé à l’extérieur d’Istanbul, à deux heures de route, étaient prévues du 24 au 27 avril 2018.

Eu égard au développement rapide du procès, il se disait que le procès serait suspendu le 26 avril et que le verdict serait prononcé le 27 avril. Toutefois, les choses se sont emballées et le tribunal a prononcé son jugement, dans la foulée des débats, dans la soirée du 25 avril 2018, ce qui en dit long sur la profondeur du délibéré.

Les peines prononcées vont de deux ans et demi à sept ans et demi de prison. La seule bonne nouvelle était celle de la libération du président du journal, Akin Atalay.

Ce n’est que tard dans la soirée du 25 avril 2018 que nous avons, un avocat anglais et moi-même, tous deux arrivés à Istanbul dans l’après-midi, appris à l’hôtel le résultat du procès.

Dès le lendemain du jugement, nous nous sommes rendus en une délégation emmenée par Caroline Stockford, responsable remarquablement compétente de cette mission composée de journalistes venant du Royaume-Uni, de Finlande, d’Allemagne, de Belgique et de Turquie, d’un magistrat émérite du Conseil du Contentieux des Etrangers belge et des deux avocats, au siège du journal Cumhuriyet.

Nous y avons rencontré des responsables engagés, dont l’énergie est restée intacte et qui sont prêts à affronter la procédure d’appel.

Akin Atlay, fraichement libéré après 18 mois de prison, d’autant plus motivé par la prison qu’il a subie, continuera le travail, estimant devoir la vérité au public et il est prêt à en payer le prix. Il ne fera aucun compromis.

Il se sent fort du soutien qu’il a eu de ses journalistes comme de la solidarité internationale dont il bénéficie.

Si lui et les autres condamnés ont subi des injustices, ils n’en feront subir à personne, y compris aux auteurs de ces injustices.

Même si le journal Cumhuriyet a subi un embargo, en particulier sur la publicité, ils ne feront aucun compromis et continueront à donner une information libre et indépendante.

Les titres de la une du journal Cumhuriyet du 26 avril 2018, lendemain du jugement, sont particulièrement éloquents et courageux : « Honte de la justice », « Condamnation sur des accusations imaginaires », « Libre après 543 jours », « Cumhuriyet ne se taira jamais », « Notre devoir est de dire la vérité », « Nous ne plierons pas sous la pression »

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Dans l’après-midi du 26 avril 2018, nous nous sommes aussi rendus au siège de DOKUZ 8.

Il s’agit d’une jeune organisation de citoyens-journalistes indépendants active sur Internet depuis 4 ans, fonctionnant sur une base bénévole. Seuls quelques permanents sont payés.

Ils publient sur les réseaux sociaux et sur leur site Web ; ils ont un compte Twitter en anglais : Dokuz8 news.

Ils suivent les procès, les conférences de presse, les manifestations, les élections, …

Ils organisent des formations en journalisme à travers lesquelles ils ont déjà formé 750 personnes.

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Durant notre séjour à Istanbul, nous avons suivi une audience du procès de 31 journalistes et collaborateurs du journal Zaman, dont la plupart restaient détenus.

Zaman a été fermé pour sa ligne éditoriale pro-Güleniste, en juillet 2016, peu après le coup d’Etat raté.

La prison à vie avait été requise, lors d’une audience de mars 2018, à l’encontre de neuf journalistes.

A cette occasion, nous avons assisté à l’intervention de deux journalistes qui se sont longuement livrés à une défense fortement argumentée.

L’évolution de ce procès est à suivre, comme celle d’innombrables procès visant des journalistes en Turquie.

Nous avons encore assisté à un autre procès dont l’une des prévenues est une jeune journaliste turque vivant en Allemagne, poursuivie devant le tribunal d’Istanbul pour avoir été présente … à des funérailles. Le procès a été ajourné mais la demande faite par cette journaliste de pouvoir quitter le territoire turc a été rejetée, l’argument de la scolarisation de sa fille en Allemagne ayant été balayé.

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Nous avons multiplié les rencontres avec divers journalistes, ce qui est fondamentalement important pour eux, car cela leur permet d’être entendus et de recevoir le soutien manifesté à travers cette solidarité internationale.

J’ai aussi eu l’occasion de rencontrer deux avocats associés, dont l’activité est précisément dévolue à la défense de journalistes. Ceux-ci revenaient la veille de Strasbourg et de Bruxelles où ils avaient rencontré des représentants du Conseil de l’Europe et du Parlement européen.

Ils nous ont indiqué que les seuls Ordres d’avocats sur lesquels ils peuvent compter sont ceux d’Ankara, d’Izmir et de Diyarbakir.

La présence d’observateurs internationaux à la déferlante de procès à l’encontre de journalistes comme d’avocats est extrêmement appréciée et doit absolument être poursuivie.

Il est essentiel de prolonger la collaboration avec l’International Press Institute et de continuer à organiser des missions communes de journalistes et d’avocats.

Il n’est rien de pire pour ceux, tels les journalistes poursuivis uniquement pour s’être exprimés dans leurs médias et les avocats poursuivis pour avoir exercé leur mission de défense et pour avoir été assimilés à leurs clients, que d’être jugés sans témoins, dans l’isolement et l’injustice.

Pour cela, notre écoute et notre solidarité leur sont fondamentalement nécessaires.

 

 

Yves Oshinsky, Président sortant de la Fédération des Barreaux d’Europe

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