Les enfants du droit

Les enfants du droit, par Bruno Dayez et Stéphanie Manneh,
Bruxelles, 2019, Samsa, 192 p., 18 €.

 

Nous ne croyons plus que notre bonheur dépend de notre conformisme à un modèle préétabli. Ni qu’il consiste à occuper le rôle que d’autres (État, école, église, famille…) nous ont assigné dès avant notre naissance. Nous n’admettons plus que les lois empiètent sur l’espace de notre liberté en prétendant nous dicter ce que serait notre bien … Le glas de l’hétéronomie a sonné : dorénavant, nous revendiquons la liberté absolue d’être nous-mêmes en choisissant qui nous voulons être, en étant les seuls garants de notre propre bonheur, les uniques maîtres de notre destin, totalement autonomes.

Le droit enregistre ce déclin des idéaux collectifs : la place de « l’intérêt général » ne cesse de se rétrécir … au total se façonne petit à petit une nouvelle idéologie : celle de l’individu souverain, n’ayant de comptes à rendre à personne, concevant son propre bien comme il l’entend … comme s’il était en vérité seul au monde.

L’affirmation de soi passe-t-elle nécessairement par la négation de l’autre ? Les hommes de bonne volonté, charriant le rêve d’un monde fraternel, ont passé le relais à l’homme du bon vouloir, dont la prétention démesurée à se suffire à lui-même paraît vouée à la faillite … À nous d’inventer une forme d’égoïsme qui ne réduise pas autrui à n’être que ce que nous attendons de lui, quitte à nous en défaire chaque fois qu’il déplaira. Et qui ne nous réduise pas nous-mêmes à la merci de nos fantasmes.

Sujet de droits, sujet au droit, enfant du droit. Le droit nous façonne, a cette prétention.

Ou l’avait. L’histoire de notre siècle est-elle celle de l’effondrement des modèles ?

Droit de naître, droit de ne pas naître. Droit de ne pas mourir, droit de mourir. Droit de ne pas souffrir, de se livrer à ses addictions, de savoir, d’ignorer, de se marier, de divorcer, de ne pas se marier, de transformer son apparence … Sur bien de ces points, notre droit a changé. Récemment. Vite.

Le trait commun de ces évolutions semble être la volonté de dégager l’individu d’un maximum de contraintes sociales.

La notion de dignité, nécessairement collective, car on n’est digne que dans le regard d’un autre homme digne, cède à celle de liberté.

Fin du paternalisme du droit ? Fin des idéaux collectifs ?

Il apparait inacceptable que des jugements éthiques qui ne sont pas partagés par l’ensemble de la société puissent aboutir à des normes obligatoires, et ce dans une société qui se caractérise justement par l’acceptation d’un pluralisme éthique.

C’est l’histoire de cette dérégulation que Bruno Dayez et Stéphanie Manneh (il est difficile de déterminer leur degré de collaboration : ils écrivent à deux mais parlent souvent à la première personne du singulier) nous content.

Ultra-moderne solitude résume Manuela Cadelli dans la préface de cet essai. Plus de paradis, plus de grand soir. Rien que me, myself and I 

Bruno Dayez ne juge pas. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? C’est ainsi. Mais il voudrait que nous en soyons conscients, que nous comprenions vers quoi nous allons. Comme s’il voulait nous laisser la liberté de juger, de nous autodéterminer.

Encore une liberté ? L’ultime ?

Les uns considèrent que la dignité est une affaire personnelle et que chacun en est, pour lui-même, le meilleur juge. Dans cette optique, je suis seul à décider, entre autres, du prix de ma vie, de ce que je suis prêt à subir et de ce qui m’est insupportable…

Les autres, au contraire, défendent une conception de la dignité qui ne dépend pas de l’individu et le surpasse. Nous sommes en ce sens-là dignes de respect parce que nous sommes des êtres humains et non parce que nous nous estimons tels. Ainsi, notre liberté  n’est pas le maître mot, la valeur fondatrice, car elle fait fond elle-même sur notre dignité. Les philosophes diront qu’elle nous est consubstantielle, les juristes qu’elle est inaliénable.

Souvenons-nous que « les droits de l’homme seraient vidés de toute substance si le consentement de la victime suffisait à se dispenser de les respecter »[1].

[1] Cette phrase est présentée par les auteurs comme une citation. Mais, et c’est un reproche que je leur fait, ils ont pris le parti de ne pas identifier les auteurs des citations qui parsèment cet essai. Cela me gêne. En général, j’aime connaître l’auteur de telle remarque. C’est aussi une façon d’en situer l’origine et la portée.

 

Patrick Henry,
Ancien Président

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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