« Je me suis toujours étonnée, quand je participe à une réunion ou à des débats sur les prisons, de ne pas y rencontrer un (ancien) détenu, celui qui en a pris pour dix ans, par exemple, et qui connaît les mécanismes de concertation en place entre les prisonniers et la direction, ou un chef de quartier, qui connaît la vie dans son pénitencier. Il semble que pour parler des prisons, le vécu n’apporte rien au débat … un peu comme si un journal des acheteurs ne laissait aucune place à la rubrique des consommateurs… C’est virtuel ! »
Bon, se taire, ce n’est pas le point fort d’Anne Gruwez, la juge d’instruction en deuche, devenue célèbre par ses coups de gueule et, particulièrement, par sa participation remarquée au film non moins remarqué de Jean Libon et Yves Hinand, Ni juge, ni soumise.
Un livre de réflexions et d’anecdotes, nous annonce l’éditeur. Il y a plus d’anecdotes que de réflexions diront les grincheux. Ce n’est pas faux mais cela rend évidemment cet ouvrage particulièrement facile à lire. Et souvent amusant, même si, comme dans le film précité, il y a, parmi ces souvenirs, des moments où l’on frise l’indécence et d’autres où on l’atteint carrément.
[caption id="attachment_3738" align="aligncenter" width="194"] Tais-toi, par Anne GRUWEZ, Bruxelles, Racine, 2020, 208 pages, 20 euros.[/caption]C’est parfois un peu « café du commerce » : des réflexions à l’emporte-pièce (comme, par exemple, lorsqu’elle conteste la notion de féminicide en arguant qu’il n’y a que des personnes vulnérables, et en oubliant donc la composante culturelle que dénonce ce néologisme : oui, Anne, le mot féminicide comprend la dénonciation de cette société où des hommes s’estiment propriétaires des femmes, et des enfants aussi d’ailleurs).
C’est parfois au ras des pâquerettes : des historiettes qui illustrent l’absurdité de la justice (« découvrons dans l’armoire un homme nu, vêtu de son seul caleçon, qui nous déclare : je souhaite m’exprimer en langue française et choisis cette langue en procédure »), des fautes d’orthographe qui débouchent sur des erreurs judiciaires, des erreurs criminelles qui débouchent sur de vraies arrestations…
Et c’est parfois réjouissant, comme lorsque celle qui, à quatorze ans, fut surnommée « écureuil au pays des merveilles », dénonce la passivité des uns et des autres face à l’absurdité de notre justice.
Avis à la population !
« La Justice est une des premières vertus régaliennes, de celle qui forgent l’État auquel vous payez l’impôt. Sans Justice pas de sécurité dans les relations entre les hommes. La Justice, c’est le respect des règles créatrices de la paix sociale que vous avez choisie, celles qui structurent les relations entre les personnes vivant sur un même territoire : tu ne tueras point, tu respecteras la propriété de ton voisin, … Et on vous vole cette Justice en les empêchant de la rendre à défaut d’estime. Alors, peuple de Belgique, tuez la Justice si vous estimez n’en avoir pas besoin, changez de régime si vous estimez que le ministre seul, avec l’aide de la police ou de l’armée, peut faire régner le bien-vivre et la paix. Mais dites-le clairement, que j’arrête d’y croire… »
Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?
Patrick Henry,
Ancien Président