Juger mai 68, suivi de J’ai choisi la liberté, par Emmanuel Pierrat, Paris, Points, 2018, 44 p., 3 €.
Totalement amoral, suivi de Vive la France quand même, par Emmanuel Pierrat, Paris, Points, 2019, 46 p., 3 €.
Vous injuriez une innocente, suivi de Si Violette a menti, par Emmanuel Pierrat, Paris, Points, 2018, 44 p., 3 €.
« L’évènement littéraire de la rentrée ? Beaucoup plus que cela sans doute… Qu’elle coïncide avec celle d’un livre est chose assez rare pour qu’on la salue… C’est un grand écrivain qui est en prison et dit son innocence et nos vérités avec des mots qui brûlent. L’y laisserons-nous ? »
Quelle curieuse histoire que celle de Pierre Goldman, demi-frère ainé d’un certain Jean-Jacques, fils de résistants communistes juifs (« Dans mon berceau, il y avait des tracts et des armes que l’on dissimulait », dira-t-il), étudiant militant qui, en 1966, attiré par l’odeur du Che, fit le voyage de La Havane, soixante-huitard, et pas des plus pacifistes, qui va se frotter ensuite, au Venezuela, avec la révolte et la révolution, puis revient en France trainer son ennui dans des milieux interlopes et des bars jamaïcains où il fréquente des personnages louches, dont d’anciens légionnaires qui se font appeler « les Katangais ».
Accusé de plusieurs holdups, qu’il avoue rapidement, et du double meurtre de pharmaciennes de la rue Richard-Lenoir, qu’il niera toujours, il est condamné à la perpétuité, publie Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France (qui fait donc l’évènement de la rentrée 1975), reçoit un soutien massif d’ intellectuels, de Simone Signoret à Jean-Paul Sartre, en passant par Ionesco, Claude Sautet, Ariane Mnouchkine, Patrice Chéreau…, obtient la cassation de son arrêt puis, dans un climat de rare effervescence reçoit, en 1976, une condamnation plus clémente (12 ans de réclusion) qui lui verront finalement une libération anticipée, en octobre 1976. Il publie alors différents articles dans des journaux comme Libération et publie un second livre, L’Ordinaire Mésaventure d’Archibald Rapoport.
Il est abattu le 20 septembre 1979, alors que sa compagne est sur le point d’accoucher, de six balles tirées par trois tueurs embusqués. Le crime est revendiqué par un groupuscule d’extrême droite se faisant appeler « Honneur de la police ».
Emmanuel Pierrat, le prolixe et prolifique avocat parisien dont je vous ai déjà présenté plusieurs ouvrages, nous raconte cette histoire qui nous parait déjà d’un autre temps en une vingtaine de pages qui défilent comme un voyage en TGV dans le passé proche.
L’affaire Kravchenko, qu’il nous présente ensuite sous le titre J’ai choisi la liberté, du nom de l’ouvrage (1946) le plus célèbre de cet immigré ukrainien, qui avait fui l’U.R.S.S. de Staline après l’avoir servie, et qui dénonçait, bien avant Soljenitsyne, l’horreur du goulag. Victime d’une campagne de dénigrement orchestrée par les communistes français et particulièrement par la revue Les lettres françaises, née de la résistance mais qu’ils avaient noyautée, il leur intenta un procès en diffamation qui vit se diviser en deux camps les intellectuels français. Margarete Buber-Neumann, la célèbre militante communiste qui eut le triste privilège d’être internée dans les camps des deux camps, à Ravensbrück d’abord, en Sibérie ensuite, y apporta un témoignage décisif. Kravchenko gagne son procès, tant en instance qu’en appel.
Défilent dans la même collection une série de procès emblématiques, qui émaillèrent le 20e siècle : l’affaire Violette Nozière (1934), l’affaire Brasillach ou le procès bâclé de la collaboration (1945), l’affaire du docteur Petiot (1946), l’affaire Grégory (1993), que j’ai également dévorés, mais aussi les affaires Dreyfus (1894), Landru (1921), Stavisky (1935), Besnard (1952), Dominici (1954), du Petit-Clamart (1962), Buffet-Bontems (1972), de Bobigny (1972), Papon (1997) ou d’Outreau (2004)… J’ai donc encore de quoi m’occuper.
C’est aussi la peinture d’un siècle, comme un gigantesque bas-relief, celle d’un monde dont nous sommes directement issus mais qui semble pourtant si différent.
Vive la France quand même, dit Brasillach juste avant de tomber sous les balles du peloton d’exécution.
Patrick Henry,
Ancien Président