Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel ils s’adressent.
Cette nouvelle rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).
Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.
Stéphane Boonen
Administrateur
Relevé dans L’Europe en bref n°953 du 2 au 15 juillet 2021
L’Europe en bref n°954 du 16 juillet au 22 juillet 2021
L’Europe en bref n°955 du 23 juillet au 2 septembre 2021
L’Europe en bref n°956 du 3 au 9 septembre 2021
L’Europe en bref n°957 du 10 au 16 septembre 2021
Consommation (3 décisions)
Droit familial (1 décision)
Droits fondamentaux – absence de recours (1 décision)
Droits fondamentaux – asile (3 décisions + pacte)
Droits fondamentaux – conditions de détention (1 décision)
Droits fondamentaux – liberté d’expression (2 décisions)
Droits de l’Union européenne (1 décision
Droit pénal (4 décisions)
Consommation – absence d’information du consommateur sur la nature de la promotion médiatique – question préjudicielle
La promotion de produits par un professionnel en utilisant une plateforme médiatique en contrepartie d’un avantage économique, sans une indication claire au consommateur, est une pratique commerciale déloyale contraire au droit de l’Union européenne (2 septembre)
Arrêt Peek & Cloppenburg, aff. C-371/20
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour fédérale de justice (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur interdit les publi-reportages afin de protéger le consommateur contre la publicité cachée, c’est-à-dire contre les contenus rédactionnels pour lesquels les professionnels annonceurs ont fourni des avantages sans le signaler. A ce titre, la promotion d’un produit par la publication d’un contenu rédactionnel est considérée comme étant financée, lorsque le professionnel fournit une contrepartie ayant une valeur patrimoniale pour cette publication, quelle que soit la forme du versement, dès lors qu’il existe un lien certain entre le financement accordé par le professionnel et la prestation. Tel est le cas de la mise à disposition gratuite, par le professionnel, d’images protégées par des droits d’utilisation, sur lesquelles sont visibles les locaux commerciaux et des produits commercialisés par celui-ci.
Consommation – droit de rétractation – question préjudicielle
Un prêteur ne peut pas exciper de la forclusion de droit lorsque le consommateur exerce son droit de rétractation ni estimer que ce consommateur a abusé de ce droit dès lors que le contrat de crédit ne contient pas toutes les mentions obligatoires exigées par la directive 2008/48/CE concernant les contrats de crédit aux consommateurs (9 septembre)
Arrêt Volkswagen Bank, aff. jointes C-33/20, C-155/20 et C-187/20
Saisie de renvois préjudiciels par le Landgericht Ravensburg (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne interprète les articles 10 §2 et 14 §2 de la directive 2008/48/CE. La Cour relève que parmi les mentions obligatoires que doit contenir un contrat de crédit se trouvent, notamment, l’indication claire et concise qu’il s’agit d’un contrat de crédit lié et qu’il est conclu pour une durée déterminée, le taux d’intérêt de retard applicable au moment de la conclusion de ce contrat ainsi que le mécanisme d’adaptation du taux d’intérêt de retard. Doivent également être mentionnés le mode de calcul de l’indemnité en cas de remboursement anticipé du prêt d’une manière concrète et facilement compréhensible pour le consommateur, les situations dans lesquelles un droit de résiliation est reconnu aux parties au contrat selon la règlementation nationale, les informations essentielles relatives à toutes les procédures extrajudiciaires de réclamation ou de recours à la disposition du consommateur ainsi que des informations complémentaires telles que leur coût. Si l’une de ces mentions obligatoires ne figure pas dans le contrat et et n’a pas non plus été dûment communiquée ultérieurement, la Cour considère que le prêteur ne peut pas exciper de la forclusion de droit lors de l’exercice du droit de rétractation par le consommateur ou estimer que le consommateur a abusé de ce droit, et ce indépendamment de savoir si ce consommateur ignorait l’existence de son droit de rétractation sans être responsable de cette ignorance.
Consommation – action en responsabilité contre un service de paiement – Question préjudicielle
L’utilisateur de services de paiement est tenu d’engager la responsabilité civile du prestataire sur le fondement de la directive 2007/64/CE concernant les services de paiement dans le marché intérieur, tandis que la caution d’un utilisateur de ces services est quant à elle libre d’engager la responsabilité du prestataire dans le cadre d’un régime de responsabilité de droit commun (2 septembre)
Arrêt CRCAM, aff. C‑337/20
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour de cassation (France), la Cour de justice de l’Union européenne considère que lorsque l’utilisateur de services de paiement a manqué à son obligation de notification au sens de l’article 58 de la directive 2007/64/CE, il ne peut engager la responsabilité civile du prestataire sur le fondement d’un régime autre que celui des articles 58 et 60 §1 de cette directive. La Cour relève en effet que le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu par ces dispositions fait l’objet d’une harmonisation totale en droit de l’Union européenne. Il ne peut donc exister de système parallèle au sein des Etats membres, cela étant incompatible avec la directive 2007/64/CE. En revanche, la Cour précise que cette directive porte spécifiquement sur les relations entre l’utilisateur de services de paiement et le prestataire. En ce sens, dès lors que le contrat de cautionnement n’entre pas dans ce champ d’application, il est possible pour la caution d’un utilisateur de services de paiement d’invoquer la responsabilité civile du prestataire dans le cadre d‘un régime de responsabilité contractuelle de droit commun.
Droit familial – orientation sexuelle de l’un des parents - violation
Le refus des juridictions nationales d’accorder la garde d’un enfant à l’un des parents en raison de son orientation sexuelle constitue une discrimination contraire aux articles 14 et 8 de la Convention (16 septembre)
Arrêt X c. Pologne, requête n°20741/10
La Cour EDH rappelle, d’une part, que seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable ou un statut sont susceptibles de constituer une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention et, d’autre part, que l’intérêt supérieur de l’enfant est primordial de tel sorte qu’il doit passer avant toute autre considération. En l’espèce, la Cour EDH constate que les références à l’homosexualité de la requérante et à sa relation avec une femme ont été prédominantes dans les rapports d’expertise et au centre des délibérations qui ont servi de base aux jugements limitant ses droits parentaux. Ainsi, la Cour EDH estime qu’il y a eu une différence de traitement entre la requérante et tout autre parent souhaitant obtenir la garde complète de son enfant. Cette différence, fondée uniquement ou de manière déterminante sur son orientation sexuelle constitue une discrimination. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 14 combiné à l’article 8 de la Convention.
Droits fondamentaux – absence de recours contre une décision administrative - violation
Une décision portant sur la suspension d’un droit à caractère civil prise par une autorité administrative doit faire l’objet d’un contrôle ultérieur par un organe judiciaire de pleine juridiction présentant les garanties de l’article 6 §1 de la Convention (20 juillet)
Arrêt Loquifer c. Belgique, requête n°79089/13
La Cour EDH rappelle que dans le cadre d’une procédure de suspension des fonctions d’une ancienne magistrate au sein du Conseil supérieur de la justice, cette dernière doit pouvoir contester la mesure conformément au droit d’accès à un tribunal prévu à l’article 6 §1 de la Convention. Or, en l’espèce, elle constate que les fonctions de la requérante ont été suspendues au motif qu’elle faisait l’objet de poursuites pénales et qu’elle n’a disposé d’aucun recours pour faire contrôler la décision de suspension prise à son encontre en vue d’une éventuelle annulation ou suspension de son exécution. En outre, la Cour EDH estime qu’une action en responsabilité civile ne permet pas d’obtenir l’annulation ou la suspension de l’exécution de la mesure litigieuse et qu’elle ne constitue donc pas un recours garantissant le droit d’accès à un tribunal. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 §1 de la Convention.
Droits fondamentaux – asile – risque de persécution - violation
Le renvoi immédiat d'un journaliste alléguant fuir un risque de persécution politique dans son pays d’origine, sans examen de sa demande de protection internationale au regard des risques qu’il encourait, a entraîné la violation des articles 3 et 13 de la Convention (20 juillet)
Arrêt D c. Bulgarie, requête n°29447/17
La Cour EDH rappelle que la volonté de demander l’asile n’a pas besoin d’être exprimée dans une forme particulière, l’élément déterminant étant la crainte exprimée concernant le retour dans un pays. En l’espèce, le requérant a clairement exprimé sa crainte d’être recherché par les autorités de son pays d’origine et les autorités nationales étaient conscientes des risques de mauvais traitements qu’il encourrait en cas de retour en Turquie. Or, la Cour EDH constate que les autorités nationales n’ont pas examiné la situation du requérant. Par ailleurs, ce dernier n’a pas bénéficié de l’assistance d’un interprète ni d’un avocat et il n’a pas non plus reçu d’informations sur ses droits en tant que demandeur d’asile, notamment sur les procédures à suivre. La Cour EDH note également que l’arrêté de reconduite à la frontière a été exécuté immédiatement, sans laisser la possibilité au requérant de comprendre son contenu et d’exercer un éventuel recours. Au regard de la rapidité et du non-respect des procédures, il apparaît que les autorités nationales n’ont pas examiné sa demande de protection internationale. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 3 et 13 de la Convention.
Droits fondamentaux – asile – rétention administrative d’une mère et son enfant - violation
Le placement en rétention administrative pendant 11 jours d’une mère et de sa fille âgée de 4 mois en vue de leur transfert vers le pays responsable de l’examen de sa demande d’asile a entraîné une violation des articles 3, 5 §1 et 5 §4 de la Convention (22 juillet)
Arrêt M.D. et A.D. c. France, requête n°57035/18
La Cour EDH relève, tout d’abord, qu’en l’espèce le nourrisson était âgé de 4 mois, que les conditions d’accueil du centre de rétention n’étaient pas suffisamment adaptées à la rétention d’un nourrisson et de sa mère et que cette rétention administrative a duré 11 jours. Partant, le traitement de l'enfant ainsi que celui de sa mère en raison des liens inséparables qui les unissent a dépassé le seuil de gravité en violation de l'article 3 de la Convention. Ensuite, la Cour EDH estime que les autorités nationales n’ont pas effectivement vérifié, conformément au régime juridique français, que le placement initial en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineure puis sa prolongation constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles aucune autre mesure moins restrictive ne pouvait être substituée. Enfin, le contrôle de la légalité de la mesure de rétention et l’appréciation de la possibilité de la prolonger au-delà d’une brève période tel qu’effectué par les autorités judiciaires nationales n’a pas pris effectivement en compte les conditions concrètes dans lesquelles le nourrisson était privé de liberté. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 5 §1 et §4 de la Convention.
Droits fondamentaux – asile – absence d’examen de la situation individuelle - violation
L’expulsion sommaire d’un ressortissant de pays tiers entrant en Hongrie depuis la Serbie, sans examen de sa situation individuelle, est contraire à l’interdiction des expulsions collectives d’étrangers et au droit à un recours effectif (8 juillet)
Arrêt Shahzad c. Hongrie, requête n°12625/17
La Cour EDH rappelle que les Etats parties à la Convention qui ont une frontière extérieure à l’espace Schengen doivent mettre en place des moyens réels et effectifs d'entrée légale, notamment des procédures d'arrivée à la frontière, et que les problèmes de gestion des flux migratoires ne sauraient justifier le recours à des pratiques non compatibles avec les obligations de l’Etat au titre de la Convention. Elle estime, au regard des faits de l’espèce, que le requérant a fait l'objet d'une expulsion collective même si la mesure en cause n’est pas qualifiée comme telle en droit national. En effet, sa situation individuelle n'a pas fait l’objet d’un examen raisonnable et objectif par les autorités hongroises, celles-ci n'ont pas davantage fourni de garanties procédurales appropriées à l’admission de migrants, et l'expulsion du requérant entré en Hongrie en tant que membre d’un groupe ne résulte pas de son comportement qui ne constituait ni une situation perturbatrice, ni un risque pour la sécurité publique. En outre, la Cour EDH constate que le requérant n'a pas disposé d'un droit à un recours effectif. Partant, elle conclut à la violation de l’article 14 du Protocole n°4 à la Convention et de l’article 13 combiné avec l'article 14 du Protocole n°4.
Droits fondamentaux – asile - pacte sur la migration et l’asile
« Depuis 2015, l’Union européenne traverse une crise majeure en matière migratoire. Les différents évènements et le déni de solidarité entre les Etats membres ont révélé l’échec et la non-viabilité de la politique d’asile européenne. C’est pour répondre à ces insuffisances que la Commission européenne a présenté son projet de pacte sur la migration et l’asile le 23 septembre 2020.
Ce projet rassemble cinq propositions législatives comprenant notamment :
- La proposition de règlement établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures ;
- La proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration ;
- La proposition modifiée de règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union ;
- La proposition de règlement visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile ;
- La proposition modifiée de règlement relatif à la création d’Eurodac.
Les propositions restantes sont des recommandations non contraignantes relatives à la gestion des opérations de sauvetage, la délivrance de visas humanitaires ou encore la lutte contre l’immigration irrégulière.
Ce pacte fait l’objet de nombreuses critiques notamment en ce qu’il privilégie une approche sécuritaire au détriment d’un accueil digne des demandeurs d’asile.
En effet, la proposition de la Commission se focalise sur deux aspects.
- D’une part, la prévention des arrivées aux frontières de l’Union européenne (avec un système d’encampement et de détention et des expulsions facilitées).
- D’autre part, en cas d’arrivées à la frontière, l’application d’un nouveau système de filtrage vers la procédure d’asile commune ou la procédure exprès.
Par ailleurs, le mécanisme de solidarité conserve les principes, pourtant défaillant exposés dans le règlement (UE) 604/2013 dit « Dublin III ». Le principe du premier pays d’entrée avec le critère du franchissement irrégulier reste maintenu ce qui perpétue la surcharge des demandes d’asile sur certains pays. »
Droits fondamentaux – conditions de détention - violation
La Cour EDH constate l’effectivité de l’action civile en réparation du préjudice subi lors de mauvaises conditions de détention introduite à la suite de son arrêt pilote mais indique qu’il est nécessaire d’adopter des réformes pour lutter contre la surpopulation carcérale (20 juillet)
Arrêt Polgar c. Roumanie, requête n°39412/19
S’agissant des conditions de détention, la Cour EDH relève que le requérant disposait d’un espace personnel inférieur à 3m2. Elle conclut donc à la violation de l’article 3 de la Convention. S’agissant du droit à un recours effectif, la Cour EDH observe que depuis qu’elle a rendu son arrêt pilote (requêtes n°61467/12, 39516/13, 48231/13 et 68191/13), la jurisprudence nationale a évolué pour apprécier les mauvaises conditions de détention et réparer le préjudice moral subi par les individus. Cette jurisprudence a été consolidée par un arrêt de la Haute Cour roumaine qui précise les critères à appliquer pour ce type de recours. L’interprétation constante des juridictions nationales depuis la publication de cet arrêt laisse présumer, selon la Cour EDH, que l’action en responsabilité civile délictuelle représente une voie de recours effective pour les personnes qui estiment avoir fait l’objet de mauvaises conditions de détention ou de transport et qui ne sont plus détenues au moment d’introduire leur action. Or, dans le cas d’espèce, l’affaire a été tranchée en amont et le requérant n’a pas bénéficié de cette interprétation constante. La Cour EDH conclut donc à une violation de l’article 13 de la Convention. Par ailleurs, elle précise que l’instauration d’un recours préventif effectif ne permet pas de répondre aux exigences de la Convention tant que les mesures ne permettront pas de réduire la surpopulation carcérale.
Droits fondamentaux - liberté d’expression – condamnation pour mentions sur Facebook – non-violation
La condamnation à une amende pénale d’un homme politique pour n’avoir pas promptement supprimé de son compte public Facebook des commentaires appelant à la haine ne constitue pas une entrave à sa liberté d’expression (2 septembre)
Arrêt Sanchez c. France, requête n°45581/15
La Cour EDH rappelle que la tolérance et le respect constituent le fondement d’une société démocratique et pluraliste. Ainsi, des commentaires incitant à la haine, tels que ceux en cause en l’espèce, apparaissent manifestement illicites. S’agissant de la responsabilité du requérant en raison des propos publiés par des tiers, la Cour EDH relève que celui-ci n’est pas l’auteur desdits propos, mais estime qu’il n’a cependant pas fait preuve de vigilance et n’a pas promptement supprimé les propos clairement illicites publiés sur son propre compte puisqu’il a attendu 3 mois après leurs publications pour le faire. Dès lors, au vu de la peine encourue et de l’absence d’autres conséquences établies pour le requérant, l’ingérence dans son droit à la liberté d’expression n’a pas été disproportionnée. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention.
Droits fondamentaux - liberté d’expression – condamnation pour mentions sur un tee-shirt – non-violation
La condamnation pénale d’un individu pour apologie de crimes d’atteintes volontaires à la vie en raison des inscriptions à connotation terroriste figurant sur le tee-shirt offert à un enfant n’est pas contraire à son droit à la liberté d’expression (2 septembre)
Arrêt Z.B. c. France, requête n°46883/15
Si la Cour EDH rappelle que le discours humoristique est protégé par l’article 10 de la Convention, y compris s’il se traduit par la transgression ou la provocation, elle souligne que quiconque se prévaut de son droit à l’humour assume des devoirs et des responsabilités. En l’espèce, les juridictions nationales ont tenu compte de l’intention humoristique du requérant pour considérer que les inscriptions reflétaient une volonté délibérée de valoriser des actes criminels, en les présentant favorablement. La Cour EDH note que le contexte des attentats terroristes ayant frappés la France n’a pas justifié à lui seul l’ingérence contestée dans son droit à la liberté d’expression. En effet, le contexte spécifique dans lequel les inscriptions litigieuses ont été rendues publiques, notamment l’instrumentalisation d’un enfant de 3 ans et la diffusion dans une enceinte scolaire, ont été dûment pris en compte. Ainsi, les motifs reposant sur la lutte contre l’apologie de la violence de masse qui ont été retenus pour fonder la condamnation du requérant apparaissent à la fois pertinents et suffisants pour justifier l’ingérence litigieuse. Ils répondaient en ce sens à un besoin social impérieux. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention.
Droit de l’U.E. – régime disciplinaire des juges - violation
En adoptant le nouveau régime disciplinaire applicable aux juges de la Cour suprême et aux juges des juridictions de droit commun, la Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union européenne (15 juillet)
Arrêt Commission c. Pologne (Régime disciplinaire des juges) (Grande chambre), aff. C-791/19
Saisie d’un recours en manquement par la Commission européenne, la Cour de justice de l’Union européenne estime que la chambre disciplinaire de la Cour suprême ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité requises en vertu de l’article 19 §1, alinéa 2, TUE. Or, les définitions de l’infraction disciplinaire prévue par le nouveau régime disciplinaire ne permettent pas d’éviter que le régime disciplinaire des juges soit utilisé aux fins de générer des pressions et un effet dissuasif, susceptibles d’influencer le contenu de leurs décisions. Les restrictions aux droits de la défense qui en découlent portent atteinte à l’indépendance des juges des juridictions de droit commun. Par ailleurs, la loi relative aux juridictions de droit commun, qui confie au président de la chambre disciplinaire le pouvoir discrétionnaire de désigner le tribunal disciplinaire territorialement compétent pour connaître des procédures disciplinaires à charge des juges des juridictions de droit commun, ne remplit pas l’exigence selon laquelle de telles affaires doivent pouvoir être examinées par un tribunal établi par la loi. En outre, la Pologne a manqué à ses obligations en vertu de l’article 267 TFUE en permettant que le droit des juridictions de saisir la Cour de demandes de décision préjudicielle soit limité par la possibilité d’engager une procédure disciplinaire.
La Pologne doit immédiatement suspendre, dans l’attente de l’arrêt définitif, l’application des dispositions nationales relatives, notamment, aux compétences de la chambre disciplinaire de la Cour suprême (14 juillet)
Ordonnance Commission c. Pologne, aff. C-204/21 R
Saisie en référé d’une demande de mesures provisoires, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que le refus ou non d’accorder une mesure provisoire au titre de l’article 279 TFUE ne doit s’apprécier qu’au regard de la survenance probable d’un préjudice grave et irréparable qu’elle vise à empêcher, lequel serait causé par l’application immédiate de la disposition nationale en cause, et ce indépendamment de la solution de l’arrêt qui sera rendu sur le fond au titre de l’article 258 TFUE. Sur le fond, la Cour observe la réunion des conditions nécessaires à l’octroi de mesures provisoires. L’octroi est justifié à première vue en fait et en droit dès lors que les moyens invoqués par la Commission européenne sont, a priori, non dépourvus de fondement sérieux. Il y a également urgence, l’application immédiate des dispositions nationales contestées pouvant compromettre l’indépendance des juridictions polonaises et causer un préjudice grave et irréparable à l’ordre juridique de l’Union. La Cour procède ensuite à la mise en balance des intérêts de la Pologne et du bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union européenne pour conclure que les mesures provisoires sollicitées sont justifiées.
Droit pénal – refus d’ajournement d’une audience sans considération pour l’intérêt du prévenu - violation
Le refus d’ajourner une audience sans prendre en compte l’intérêt de la personne poursuivie à assister à l’audience est contraire à l’article 6 de la Convention (27 juillet)
Arrêt X. c. Pays-Bas, requête n°72631/17
La Cour EDH rappelle qu’il ressort du but et de l’objet de l’article 6 §1 de la Convention qu’une personne poursuivie pour une infraction pénale a le droit de prendre part à l’audience. Si sa présence n’a pas la même importance selon les procédures, il convient de prendre en compte les spécificités de la procédure en cause, les intérêts de la personne à comparaître et la nature des questions soulevées à l’audience. En l’espèce, l´avocat de la requérante a accepté une audience à une date à laquelle la requérante ne pouvait pas être présente. La juridiction nationale a refusé la demande d’ajournement de l’audience présentée en conséquence. Si un Etat ne peut être tenu responsable pour le manquement d’un avocat, l’intérêt d’une bonne administration de la justice doit toutefois être mis en balance avec les intérêts de la personne poursuivie à assister à l’audience. La Cour EDH constate que la requérante n’a pas renoncé à son droit d’assister à l’audience et estime que le rejet de la demande d’ajournement n’était pas suffisamment motivé. Partant, elle conclut à la violation de l’article 6 §1 de la Convention.
Droit pénal – impartialité du juge d’instruction après une visite informelle à une partie civile – violation
Les circonstances d’une visite informelle d’un juge pour rencontrer une partie civile avant un procès peut faire naître des doutes quant à son impartialité et ainsi remettre en cause l’impartialité du tribunal (31 août)
Arrêt Karrar c. Belgique, requête n°61344/16
La Cour EDH rappelle que l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, ainsi que d’une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité. En l’espèce, la Cour EDH constate que l’initiative du président de la cour d’assises de rendre une visite informelle à une partie civile pour exprimer sa compassion avant l’ouverture du procès et en l’absence de témoin, peut faire naître des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité objective. Par ailleurs, conformément aux règles pénales, le président a pu prendre part à la rédaction de l’arrêt de motivation, à la délibération de la peine avec le jury. Il disposait en outre d’une grande latitude pour organiser les débats. Ainsi, la Cour EDH considère que l’attitude du président a pu remettre en cause l’impartialité de la cour d’assises elle-même pour connaître du bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre le requérant. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6§1 de la Convention.
Droit pénal – communication de la décision 15 mois après le prononcé - violation
La réception d’un jugement de condamnation pénale 15 mois après son prononcé ne permettant pas d’avoir les éléments suffisants pour décider de l’opportunité de l’appel, elle constitue une violation du droit à un procès équitable (9 septembre)
Arrêt Garcia y Rodriguez c. France, requête n°31051/16
La Cour EDH rappelle que l’article 6 §3, sous b), de la Convention requiert que les motifs d’un jugement de première instance condamnant pénalement une personne soient communiqués en temps utile à cette dernière afin qu’elle soit en mesure d’interjeter appel en connaissance de cause. Cette communication des motifs doit en principe intervenir avant l’expiration du délai d’appel ou ultérieurement si elle intervient assez tôt dans la procédure pour que l’intéressé dispose du temps nécessaire à l’organisation de sa défense. En l’espèce, le requérant a interjeté appel à titre conservatoire sans avoir reçu le jugement intégral de condamnation, réceptionné 15 mois plus tard, alors que le délai de désistement entraînant la caducité de l’appel incident du ministère public était d’un mois à compter de l’appel. Ainsi, bien qu’il ne se soit pas trouvé privé de l’exercice de son droit d’appel, le requérant a été confronté au choix, soit d’interjeter appel en prenant le risque d’un appel incident du ministère public susceptible de conduire à l’aggravation de sa peine, soit de ne pas interjeter appel en renonçant à la possibilité d’une relaxe ou d’une atténuation de sa peine. Or, une telle évaluation ne peut se faire sans la connaissance de l’intégralité des motifs de la décision ayant prononcé la condamnation. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 de la Convention.
Droit pénal – Salduz (Belgique) - violation
L’absence d’un avocat lors de la détention préventive et pendant les interrogatoires menés durant la phase préalable au procès constitue une violation du droit à un procès équitable (14 septembre)
Arrêt Brus c. Belgique, requête n°18779/15
La Cour EDH rappelle qu’en l’absence de raisons impérieuses justifiant les restrictions à l’article 6 §3 de la Convention, elle est appelée à opérer un contrôle très strict pour apprécier l’équité de la procédure pénale dans son ensemble. En l’espèce, le requérant a été privé du droit d’accès à un avocat pendant sa garde à vue et en particulier durant l’interrogatoire récapitulatif au cours duquel il a fait des déclarations l’incriminant. Or, les juridictions nationales ont estimé que la condamnation du requérant était justifiée par la suffisance globale des preuves, sans toutefois procéder à un contrôle de l’équité de la procédure. La Cour EDH relève que la restriction du droit d’accès à un avocat ne repose sur aucune raison impérieuse. Par ailleurs, la procédure pénale considérée dans son ensemble est inéquitable en ce qu’elle n’a pas permis de remédier aux lacunes procédurales survenues au stade préliminaire de la procédure. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 de la Convention.