Compte-rendu de la journée européenne des avocats

AVOCATS.BE, le European Prison Litigation Network, le Centre de recherche en droit pénal de l’ULB, la LDH et l’OIP ont organisé, le 23 octobre, une conférence intitulée « Prisons : quelles perspectives de renforcement des droits procéduraux ? ». S’inscrivant dans le thème retenu cette année par le CCBE comme thématique de la Journée européenne de l’avocat, cette manifestation entendait plus spécifiquement rendre compte des enjeux attachés à une possible consécration, dans le droit de l’Union européenne, de standards minima commun en matière d’accès au droit et au juge s’agissant de l’exercice des droits fondamentaux à l’intérieur de la prison. En effet, les directives pénales issues du « Programme de Stockholm » (2009) ne trouvent pas à s’appliquer au contentieux pénitentiaire. En la matière, c’est principalement le mécanisme de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui contraint l’action des Etats, obligeant en particulier ceux-ci d’aménager des voies de recours aptes à prévenir ou réparer les atteintes aux droits. Dès lors, l’intervention du droit de l’UE pourrait sembler superflue, d’autant que la Cour de Strasbourg a fait des obligations procédurales un axe central de sa politique jurisprudentielle en matière carcérale. Pourtant la protection ainsi consacrée s’avère lacunaire et peine en pratique à assurer l’intervention du juge dans les cas requis.

C’est cette dimension qu’un premier panel s’est attaché à restituer. Hugues de Suremain (EPLN) a ainsi exposé les résultats d’une étude sur l’accès au juge des détenus, conduite dans neuf Etats de l’UE et qui montrent que, outre la faiblesse du système  d’exécution des arrêts, cette défaillance résulte de ce que la Cour de Strasbourg privilégie la simplification des procédures pénitentiaires, sans suffisamment prendre en compte la dimension de l’accès au droit en détention (aide juridique de première ligne) et surtout le rôle central joué par l’avocat dans toute action en justice. Il en résulte un traitement bureaucratique et routinier par le juge des recours des détenus. Le contexte de réclusion rend la résolution des litiges complexe, tout comme l’enchevêtrement des sources normatives rend l’appréhension du droit particulièrement ardue. Le cas de la Belgique s’inscrit pleinement dans ce tableau, comme l’a montré Harold Sax, co-président de l’OIP. La population détenue y est, pour des raisons socioéconomiques, particulièrement mal préparée à l’usage du droit. Or, exercer une action en justice implique de se repérer dans un maquis procédural dense (pour déterminer la voie de recours adéquate) et, s’agissant de divers aspects cruciaux du droit pénitentiaire, de justifier que les décisions administratives en cause relèvent bien du contrôle juridictionnel. A cet égard, l’office de la future commission de plainte demeure à ce jour incertain.   

Cette défaillance des garanties procédurales a un retentissement sur la coopération judiciaire européenne en matière pénale, et mettent à mal le fonctionnement des instruments reposant sur la reconnaissance mutuelle. Anne Weyemberg, Professeure à l’ULB, a retracé l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE. Celle-ci a admis qu’un risque de violation des droits fondamentaux constituait un motif de report d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE), affirmant ainsi que la confiance mutuelle n’était pas inconditionnelle. La CJUE a progressivement précisé les paramètres du contrôle que les autorités judiciaires sont appelées à exercer. Elle ainsi pris à bras le corps le problème des problèmes structurels affectant certains systèmes pénitentiaires. Reste que cette construction prétorienne ne permet pas de faire l’économie de standards européens communs, seuls à même d’assurer le respect effectif du droit à la dignité et un fonctionnement harmonieux des instruments de coopération judiciaire.

Jesca Beneder, chef d’équipe à l’Unité de procédure pénale au sein de la Commission européenne a évoqué elle aussi la jurisprudence de la CJUE, pointant que la dynamique protectrice ainsi décrite est également soutenue par les arrêts se rapportant aux exigences de l’Etat de droit dans le champ judiciaire. Dans ce contexte, certains Etats sont de plus en plus réfractaires à mettre en œuvre le MAE lorsque celui-ci est émis par des Etats touchés par la surpopulation carcérale. Dix Etats ont jusqu’ici franchi le pas, s’agissant de MAE provenant de 11 Etats membres. Les conditions d’appréhension des conditions de détention sont très variables, même s’il faut noter que la jurisprudence la plus récente apporte des précisions et que la Commission travaille à un cadre méthodologique non contraignant en la matière. L’une des voies possibles pour résoudre ces difficultés serait une révision de la décision-cadre de 2002 relative au MAE, comme le réclament de plus en plus de parlementaires. De même, la détention provisoire est à l’agenda de la Commission de longue date. La question de standards commun en la matière se heurte toutefois à la sensibilité du sujet du point de vue des Etats et à la grande complexité des problèmes sous-jacents.   

Damien Scalia, professeur à l’ULB, a ensuite expliqué que la difficulté majeure à laquelle se heurte l’entreprise de développement de standards communs en matière pénitentiaires tient à la lecture que font une majorité d’Etats membres de l’article 82 §2 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, autrement dit réfute tout titre à l’UE pour légiférer en la matière. Pourtant, il est aujourd’hui flagrant que la reconnaissance de droit procéduraux additionnels est indispensable au bon fonctionnement de la coopération judiciaire européenne. Une autre perspective, complémentaire, réside dans la nécessaire prise en compte du retentissement sur la préparation du procès pénal et l’exercice des droits de la défense des conditions dans lesquelles est subie la détention, afin d’admettre que celles-ci se rattachent à la « matière pénale » au sens de notion autonome du droit communautaire. Laure Baudrihaye-Gérard, de l’organisation Fair Trial a insisté sur la nécessité de standards minimum communs applicables à la détention provisoire, dès lors que la sauvegarde des droits fondamentaux dans la prison passe nécessairement par une maîtrise des effectifs pénitentiaires et une action efficace contre la surpopulation carcérale. 

En définitive, la prise en compte des questions pénitentiaires par la législation de l’UE semble désormais une question de temps. Julen Cazorla Montoya représentant les Barreaux espagnols a montré, à la lumière de l’expérience ibérique, tous les mérites qu’il y a à garantir, via notamment un système structuré d’aide juridictionnelle et l’engagement constant des barreaux, l’implication de l’avocat dans le quotidien de la prison. Etienne Lesage représentant du Conseil national des Barreaux (France) a abondé en ce sens, rappelant en particulier que les Barreaux français s’étaient prononcés en faveur d’une législation européenne garantissant les droits procéduraux des personnes détenues. En conclusion, Marc Nève, représentant d’Avocats.be s’est référé à l’incorporation des exigences de la CEDH dans la législation de l’UE s’agissant des phases préliminaires de la procédure pénale et les avancées majeures qui en ont résulté du point de vue de l’effectivité des droits. Il a émis le vœu que les avancées qui ont amenés à la consécration, en matière de garde à vue, de garanties communes au niveau européen gagnent enfin la prison.

Huges de Suremain
Legal Coordinator European Prison Litigation Network (EPLN)

 

Photo (c) La Délégation des Barreaux de France 

 

 

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