Rentrée solennelle du barreau de Tournai

« D’espoir et d’audace, que nous reste-t-il de vos combats ? »

De quoi s’agissait-il ? Vous donnez votre langue au chat, ou bien vous vous dites, encore ces bonnes femmes qui la ramènent ?

En entrant dans la prestigieuse salle de l’Hôtel de ville de Tournai, où habituellement, vous vous êtes confrontés aux regards sévères des rois mérovingiens, (immortalisés en une tapisserie : l’art tournaisien en la matière, Clovis et autre Childéric obligent), vous apercevez une série de photos où vous reconnaissez d’aucunes de ces figures du féminisme, qu’il soit d’antan ou de quelques décennies…

Les huiles politiques et les représentants obligés de tout ce qui fait notre Ordre judiciaire, qu’il soit de la Capitale, de la Province ou de ces fidèles coursiers de toute l’avocature, s’installent sur leurs sièges dument désignés. Ils se taisent. Ils deviennent ainsi les auditeurs obligés de tout ce qui va suivre, dans un ordre immuable, avec cette curiosité cruelle de ceux qui ne diront rien.

Me Pauline Dudkiewicz, la Présidente du Jeune Barreau, récite la litanie que l’on croit indispensable : d’accord, rien ne manque et personne d’entre ces tenants temporaires de tout pouvoir ne pourra s’en plaindre. Vient alors la présentation de l’oratrice de rentrée : Me Coralie Fontaine. Le Barreau de Tournai connaît son énergie et sa bonne humeur, elle qui fut aussi la même Présidente en 2017. L’on connaissait moins sa participation à une troupe de théâtre patoisant dans la commune de Ligne, proche de la Ville d’Ath. L’on apprenait ainsi qu’elle avait toujours aimé les concours d’éloquence et en avait gagné certains. L’on apprendra encore qu’elle se présentera aux élections communales sous le drapeau bleu, nonobstant des convictions vertes, mais bref que vivent les arcs- en- ciel et surtout que vive la vie, ou ce qu’il en reste.

Mais voici le moment du discours.

Me Coralie Fontaine vous abreuvera de deux concepts, l’un historique avec une incursion à peine visionnaire dans les pistes de solution, l’autre de l’ordre de la dérision, celle d’elle- même et celle de son auditoire.

Elle vous avertira que trois messages seront à retenir, et qu’elle nous indiquera comment, à chaque endroit de son propos, ils apparaîtront.

Le premier de ces messages est le fait que l’idée que l’on pouvait se faire du féminisme, lorsque l’on est née en 1988, est devenue nuancée par rapport à la certitude que l’on pouvait avoir que ce combat était révolu.

Le deuxième est de constater que diverses victoires sont advenues dans le chapitre de la « libéralisation » du statut de la femme, ou plutôt dans le fait que l’on ait pu penser, assez tardivement, qu’une femme puisse avoir des droits égaux à ceux des hommes. (L’on peut en effet se perdre en conjectures lorsque l’on se souvient que leur droit de vote date de 1946, et son application, dans les faits, de 1948. La liste des autres aberrations est longue et parfaitement éloquente à propos du déni d’existence sociale du sexe dit « faible » , face à la prétendue suprématie intellectuelle du sexe dit « fort »).

La troisième idée forte du discours fut de s’interroger sur la façon dont le Barreau rend compte de la présence d’avocates en son sein, comment elles seraient traitées, comment elles prendraient ou non leur place et laquelle.

Vous aurez frémi, beaucoup ou très peu, à l’occasion des « happenings » que l’on prétend être le label des discours tournaisiens. Vous aurez un peu ri en découvrant les facéties « bon enfant » qui vous étaient finalement réservées, et vous vous êtes calmés, même à l’évocation du sexe de Thémis ou de la culotte de la culottée, en attendant que le Bâtonnier ramène le bateau à bon port.

Monsieur le Bâtonnier Arnaud Beuscart s’en remit à diverses suppliques adressées à « mon Dieu », soit cette formule qui peut être symbolique de la révérence ou de la désolation.

En fait, il était vain de l’attaquer en tant qu’homme, surtout en 2019.

Il était également vain de contester ou de minimiser les avancées législatives, qu’elles soient belges, ou européennes, afin que le statut des femmes soit protégé, respecté, mis en valeur.

Le Bâtonnier osa même évoquer le postulat selon lequel le patriarcat aurait disparu. Il emboîta également le pas à ceux qui estiment qu’il conviendrait d’instaurer, à présent, une journée mondiale de l’homme.

Il insista sur les aspects virils des femmes et les tendances féminines des hommes pour juger que le problème de cette lutte fratricide avait fait son temps et que nous baignions, à présent et en en nos contrées, dans un modus vivendi sans problème.

Il fut évidemment question de l’état de la Justice, de ses moyens, de ses locaux et autres revendications dont il est, ici, inutile de faire la recension.

Vous aurez bu et dégusté divers flacons et zakouskis dans la crypte de l’Hôtel de Ville : point de bûcher à préparer pour une quelconque sorcière, point d’Inquisition de mauvais aloi.

Vous aurez même dansé dans un Château, dit de Bourgogne, et d’aucuns en seront revenus les pieds meurtris et l’esprit absent, du moins temporairement.

Le lendemain, vous aurez accompagné des éminences bâtonnières et des conseiller(e)s de l’Ordre tournaisien en promenant vos regards sur les merveilles picturales du Musée des Beaux- Arts et sur les entrelacs du Musée de la Tapisserie.

Vous êtes rentrés chez vous et quelques questions vous sont venues à l’esprit.

Moi qui suis un homme, suis-je en accord avec mon temps et en quoi suis- je un être civilisé digne de ce nom ?

Moi qui suis une femme, en quoi suis-je un être libre, capable d’indépendance, prête à m’investir dans ce qui fait l’honneur de ma profession ?

Suis-je un pauvre mec, obsédé par mon sexe et ses velléités de performance ou suis- je un avocat capable de passer du temps à instruire autrui, à défendre le métier, à le porter haut et fort au- devant du « peuple » et de ses représentants ?

Suis-je une midinette, prête à tout accepter d’un prétendu mentor, ou suis- je une avocate compétente, dans tel ou tel domaine ? Une avocate qui connaît ses dossiers ?

Une avocate qui s’engage, elle aussi, dans la défense de cette robe commune, qui deviendra, elle aussi, comme d’autres avant elle, Oratrice de rentrée, Présidente du jeune Barreau, Bâtonnière, membre du bureau de l’OBFG, et pourquoi pas sa Présidente ?

Rien de plus, rien de moins. L’égalité n’est pas un cadeau ni une aumône. L’égalité est un fait qui se construit jour après jour, qui se maintient parce que personne n’y voit plus rien à redire, qui se transmet parce qu’il s’agit là d’un des fleurons de la civilisation telle qu’envisagée par la déclaration des Droits de l’Homme.

Vous rentrerez enfin en vous- mêmes.

Vous serez fier d’avoir été un de ces avocats qui connaît ce que c’est que l’altérité. Vous serez réjoui de maîtriser le langage, d’en connaître les nuances et toutes les acceptions. Vous envisagerez sereinement vos rapports humains.

Vous reconnaîtrez le symbolisme de la langue et vous donnerez du sens à la vie contemporaine, en ce qu’elle avance en matière de droit pour chacun(e) et de reconnaissance des différences de tout un chacun(e).

Vous serez capable de dire un titre professionnel au féminin, sans vous étrangler et sans perdre la face.

Ce faisant, vous pénétrerez dans le cercle de ceux et de celles qui mettent en pratique la notion même d’égalité et de respect de l’autre.

 

Maître Corinne Poncin,
Ancienne Bâtonnière du barreau de Tournai

 

Photo © ERIC LALMAND 

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